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Histoire du Maroc
Histoire du Maroc
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13 juin 2006

QUAND LES EUROPÉENS SE DISPUTAIENT LE MAROC

Lors de son apparition en France, dans les années 1890, le parti colonial ou « coloniste » est moins une organisation structurée qu’un conglomérat de groupes et d'associations, comme le Comité de l'Afrique française, fondé en 1890 par d'Arenberg, directeur du Journal des Débats, suivi de comités parallèles pour l'Asie et l'Océanie françaises, pour le Maroc et Madagascar. Les buts affichés sont les mêmes : recueillir les fonds nécessaires aux missions d'exploration, encourager les études et recherches et, surtout, développer l'information et la propagande. Parmi les administrateurs de ces groupements, on trouve les représentants des grands intérêts liés à l'outre-mer, comme le Canal de Suez, les chambres de commerce de Lyon et de Marseille, les banques, mais aussi des officiers, des marins, des universitaires ou des écrivains « coloniaux ». À côté de ces « comités » émerge, en 1893, le puissant syndicat des « maisons françaises ayant des intérêts aux colonies », à savoir l'Union coloniale française, gérée par Charles Roux, administrateur de la Banque de France et du Canal de Suez, président de la Compagnie transatlantique, et par l’administrateur de la Banque Perrier, Mercet. Un an plus tôt, en 1892, était créée la branche parlementaire du mouvement « coloniste », le Groupe colonial de la Chambre, auquel est associé le nom d'Eugène Étienne. Député d'Oran et membre de l'entourage immédiat de Gambetta, il est sous-secrétaire aux colonies de 1889 à 1892. Théophile Delcassé, député de l'Ariège, apparaîtra rapidement comme son « leader en second ». Les deux hommes partagent la même fidélité envers Gambetta. Ce dernier ne fut-il pas le vrai fondateur du parti colonial ? Dès son discours d'Angers, le 7 avril 1872, il s'était prononcé pour l'expansion outre-mer, « pour le rayonnement dans la vie du dehors », car, « si cette vie s'arrêtait, ç'en serait fait de la France ». Et c'est lors de la constitution de son gouvernement, en novembre 1881, que fut créé un sous-secrétariat aux colonies, aux lieu et place d'une simple direction du ministère de la marine ou du commerce.

Dans son essai sur les Mythes et réalités de l'impérialisme colonial français, Henri Brunschwig montra comment le groupe colonial, fort de 91 membres à sa création, regroupait toutes les tendances politiques : deux tiers d'hommes du centre, les « républicains ministériels » – qu’ils soient « de gauche », « progressistes » ou républicains tout court – mais aussi, à l'extrême gauche, une dizaine de radicaux et, à droite, des partisans de Boulanger, des conservateurs classiques ou encore des monarchistes, opposants de l'intérieur mais heureux de s'associer à l'expansion de la nation. La doctrine de l'impérialisme colonial n'est le monopole d'aucune famille politique : c'est là une constante de la Troisième République. Raoul Girardet a noté qu'en 1874, c'est un député d'extrême gauche qui demande à la Chambre de rendre hommage à la mémoire de Francis Garnier, lequel appartenait à une famille de stricte obédience monarchiste

 

Le « parti colonial »

 

Le « parti colonial » – terme utilisé pour la première fois le 6 juin 1894, lors du banquet de l'Union coloniale, en présence de Delcassé devenu entre temps ministre des colonies – est à l'image de la composition socioprofessionnelle de la Chambre. À une différence près : autour des  milieux  dirigeants, des  fondateurs  de  la République, héritiers de Gambetta et de Jules Ferry, se trouvent en grand nombre des négociants, industriels, armateurs représentant les grands intérêts coloniaux, diplomates, journalistes, habitués des cercles parisiens qui représentent une France tournée vers l'extérieur, sans beaucoup d’élus de la France profonde et provinciale. Médecins, vétérinaires, notaires, propriétaires terriens sont peu nombreux. Les notables des petites villes et des bourgs sont indifférents, voire méfiants. Delcassé, fils d'un huissier de Pamiers, fait figure d’exception – qui s’explique par son passage à la chronique diplomatique de la République française et dans « l'écurie Gambetta ».

L'École coloniale fut créée dès 1889. Elle est installée, en  1896, avenue  de  l'Observatoire : des générations d'administrateurs et de magistrats de la France d'outre-mer seront formés dans ce décor d'inspiration mauresque, mêlé de nostalgies asiatiques. Mais elle ne trouve pas grâce aux yeux de tous. Des pamphlétaires dénoncèrent la « pétaudière coloniale », « l'assiette au beurre coloniale », la nomination de « coiffeurs » ou de « terrassiers », dotés de relations utiles, comme commis des affaires indigènes, tandis qu’Émile Boutmy, fondateur de l'École libre des sciences politiques, critiquait la tradition « centraliste » et « bureaucratique » de l'enseignement français – il est vrai que l'École libre était dotée de sa propre « section coloniale ».

Le credo de l’expansion outre-mer reste celui de Jules Ferry, fondé sur une triple argumentation : économique – la recherche de débouchés –,  humanitaire – l'apport de la civilisation occidentale –, et politique – l'impératif de la grandeur et de la puissance de la France. Mais, au sein même du parti colonial, les milieux d'affaires mettront l'accent sur l'argument économique, alors qu'administrateurs, officiers et doctrinaires de l'expansion coloniale assigneront une finalité politique et humanitaire à leur entreprise – une divergence que Delcassé tentera de transcender, en mariant prestige et intérêt. Mais le débat fondamental oppose les tenants du « parti colonial » aux pionniers de l'anticolonialisme – tel Clemenceau, qui lançait à Jules Ferry, après le revers de Langson : « Nous ne voulons plus discuter avec vous les grands intérêts de la patrie. Ce ne sont plus des ministres que j'ai devant moi, ce sont des accusés de haute trahison ». À droite, Maurice Barrés disait sa conviction que « Gambetta avait fait […] de la colonie pour détourner l'élite de notre armée du Rhin ». Dans son esprit, le nationalisme d'expansion coloniale va à l’encontre des intérêts de la nation, car il conduit à négliger l'adversaire principal, l'Allemagne. Il faudra attendre quinze ans de plus, et l’apparition de la question marocaine, pour que le nationalisme d'expansion coloniale rejoigne le nationalisme continental en s’affrontant au même adversaire, l’Allemagne. « C'est contre l'Allemagne, et non plus, comme dans les années 1880, avec son appui, presque sous son patronage, que doivent maintenant triompher les ambitions françaises », remarque Raoul Girardet. À l'approche de la guerre mondiale, la possession d'un vaste empire colonial n'apparaîtra plus comme un « facteur d'affaiblissement », mais comme un « élément supplémentaire de puissance ».

 

Après Fachoda : l’enjeu marocain

 

Au lendemain de la crise de Fachoda (1898) – le fameux face à face franco-anglais dans le Haut-Nil, qui se termina par l'humiliation de la France –, le « parti colonial » procède, derrière Eugène Étienne, à une révision déchirante de ses objectifs. Il décide d'abandonner la vaine confrontation avec l'Angleterre sur l'Égypte, et cherche à acquérir une « compensation », dans la logique du Concert européen et de la diplomatie de l'équilibre. Elle va porter sur le Maroc, dont l’entrée dans le domaine colonial français devient la nouvelle priorité. Paradoxalement, alors que le « lobby » tunisien rassemblait les représentants des grands intérêts financiers liés au développement de la « Régence », le « Comité du Maroc » ne regroupe, outre Étienne, que des journalistes et des universitaires. Le Maroc devient un élément décisif de la « plus grande France » à construire autour de la Méditerranée, mais les intérêts avancés sont stratégiques et moraux – même si le potentiel en matières premières et la qualité de débouché pour les industries françaises ne sont pas à négliger. Est-ce par prudence politique, après les polémiques soulevées par le précédent tunisien à l'époque de Jules Ferry ? Toujours est-il que les représentants des grands intérêts sont éconduits. Le consul de France à Fès remarquera, étonné, que le Comité du Maroc ne contient pas l'habituelle « bande de requins », à la recherche des « dépouilles » de la colonisation…

Au côté d'Eugène Étienne, Paul Bourde est l'âme du Comité. Journaliste au Temps, il fit une rapide carrière outre-mer, comme directeur de l'agriculture en Tunisie, puis comme secrétaire général de Madagascar, avant de retrouver la rubrique coloniale du Temps. Célibataire d'une grande austérité, il consacra sa vie monacale à la cause coloniale – il mourra dans une pauvreté totale, au milieu d'une bibliothèque de 12 000 volumes. Dès le 27 octobre 1898, au plus fort de la crise de Fachoda, il tente de convaincre Delcassé : « La question d'Égypte ne reviendra jamais à son état originaire ; au mieux, nous obtiendrons des Anglais des concessions mineures, alors que nous avons une occasion historique d'acquérir le Maroc ».

Malgré la forte amitié qui unit les deux leaders du parti colonial, Eugène Étienne ne parvient pas à convaincre Delcassé, devenu ministre des affaires étrangères, de l'intérêt de « troquer » l’Égypte contre le Maroc. Delcassé partage l'ambition du parti colonial sur le Maroc, mais il reste obstinément arc-bouté sur le mot d'ordre traditionnel : l'Angleterre doit lâcher prise en Égypte.

Delcassé n'en renforce pas moins la présence française au Maroc, en étroite liaison avec Étienne et Paul Bourde. La légation de France à Tanger devient une place forte du parti colonial. Martinière, secrétaire général du Comité de l'Afrique française, est nommé premier secrétaire de la légation en 1899. Saint-Aulaire lui succédera trois ans plus tard, sur la recommandation de Paul Bourde, et Paul Révoil, ancien gouverneur général de l'Algérie et alter ego d'Étienne, sera nommé ministre à Tanger. De même, c'est à partir de l'enjeu marocain que Delcassé concevra sa politique méditerranéenne envers l'Italie (avec le « troc » Maroc-Tripolitaine), puis l'Espagne.

 

Un pays isolé

 

L'apparition du Maroc comme enjeu central dans les préoccupations françaises était très récente. Ce pays s'était isolé à peu près totalement du monde extérieur – presque à l'égal du Japon avant l'entrée des bateaux noirs du commodore Perry dans la baie d'Edo. À la fin du XVIIIe siècle, la fondation de Mogador permit un premier développement des relations commerciales avec l'Europe. Mais, dès le début du XIXe siècle, le sultan Moulay Sliman voyait dans le commerce avec l'étranger un appauvrissement du pays et dans les contacts avec les infidèles un risque de corruption. La plupart des ports furent interdits aux étrangers. Un droit de 50 % fut imposé sur les importations, tandis que l'exportation des produits habituels – grains, huile, laine – était prohibée. La colonie européenne se réduisait à une centaine de personnes à Tanger, où les consuls vivaient relégués, sans contact avec les réalités du pays[3].

L'irruption de la France en Algérie et l'effondrement de la « Régence » d'Alger allaient briser cet isolement. Le « makhzen », gouvernement du sultan, avait conservé sa sérénité face à la chute d'Alger, mais il intervint, presque par automatisme, dans les affaires d'Algérie. Par solidarité religieuse et politique, le Maroc devint la base arrière de l'insurrection d'Abd el Kader, tandis que se dessinaient des perspectives de redistribution territoriale – Moulay Abderrahman reçut l'allégeance des habitants de Tiemcen et fut près d'établir son pouvoir sur le « beyiik » d'Oran.

Bientôt, l'Europe imposa sa loi : l’« empire chérifien » fut battu par la France (1844), puis par l'Espagne (1860), et contraint de céder aux exigences commerciales de l'Angleterre (1856). Toutefois, le « jeu des puissances » préservait l'indépendance du pays. L'Europe installait ses fonctionnaires, prenait en main les services douaniers, mais Londres fit savoir, avec netteté, qu'elle ne tolérerait aucune annexion. Empiétements sur la souveraineté marocaine et neutralisation réciproque des « puissances » aboutirent, le 19 mai 1880, à une conférence internationale à Madrid, sur l'initiative de Salisbury et avec l'accord du sultan, afin de régler le problème des « protégés » de l'étranger. De plus en plus de sujets marocains cherchaient à échapper à l'autorité despotique des pachas et à leur fiscalité en se plaçant sous la « protection » de tel ou tel État européen (ou des États-Unis). La Russie s'étant récusée, douze nations furent représentées. Un projet de réforme du statut de protégé, soutenu par l'Angleterre et l'Espagne, fut tenu en échec. Le droit de protection fut reconnu officiellement et codifié dans une convention de 18 articles. Il sera invoqué par l'Allemagne lors de la première crise marocaine.

Depuis les années 1880, la « question marocaine » semblait oubliée. Dès 1884, la France avait choisi le statu quo. Jules Ferry mit fin à la mission du très actif ministre de France à Tanger, Ladislas Ortega, ami personnel de Gambetta et d'Eugène Étienne : « Le gouvernement de la République ne veut pas d'affaire au Maroc ».

Quinze ans plus tard, la « question » réapparaissait. Comme en Tunisie, la décomposition politique de l’« empire chérifien » – aggravée par la fragilité d'Abd el Aziz, le jeune monarque, pris d'un engouement puéril pour les « nouveautés » d'Europe selon la formule de Jean Ganiage – menaçait la sécurité des frontières de l'Algérie française. Surtout, le partage de l'Afrique s'achevait et de nouvelles ambitions se faisaient jour au sein du parti colonial. Le Comité de l'Afrique française assurait : « L'état actuel du Maroc n'est qu'un provisoire à allonger aussi longtemps que nous ne serons pas prêts à profiter de sa désagrégation ; mais il faut nous y préparer dès maintenant ». À la fin de 1899, la Société de géographie d'Alger demandait l'établissement immédiat d'un protectorat français sur le Maroc. Plus prudent, Eugène Étienne préconisait une « pénétration pacifique » et progressive de la France, afin de désarmer la méfiance des « puissances ». Delcassé soutenait la vision d'Étienne et déclarait, en juillet 1901, qu'une ingérence étrangère dans « un pays limitrophe de l'Algérie française » serait considérée comme un acte inamical.

Restaient les « intérêts des puissances ». L'Espagne possédait les « présides » de Ceuta et Mellila, grossis des acquisitions de la guerre hispano-marocaine. L'Angleterre, à partir de Gibraltar, assurait 40 % du commerce marocain et contrôlait le détroit. L'Allemagne exprimait ses prétentions par des plans de partage donnant à l'Angleterre Tanger et la côte méditerranéenne, à l'Allemagne Rabat, Casablanca et Mogador, à la France, les confins algéro-marocains jusqu'à la Moulouya. On a pu résumer la situation en disant qu’à l'Angleterre allait le Maroc stratégique, à l'Allemagne le Maroc économique et à la France le Maroc pittoresque…

Eugène Étienne et le parti colonial ne relâchaient pas leur pression sur Delcassé, d'autant plus que le premier, président de l’intergroupe colonial, l’est aussi d’un groupe parlementaire de centre-gauche dont l'appoint est nécessaire à la survie du gouvernement Combes, de juin 1902 à janvier 1905. En octobre 1902, un différend surgit entre les deux hommes au sujet du traité franco-siamois. Pour la première fois, la démission de Delcassé est envisagée, mais le ministre des affaires étrangères finit par céder et promet à Étienne une renégociation du traité.

 

Evolution britannique

 

Sur le Maroc, le parti colonial exige une manifestation claire des intentions britanniques. Il suggère à Delcassé d'affirmer que la France préservera l'intégrité du Maroc mais qu'elle attend en retour des « puissances » européennes la reconnaissance de sa position prééminente. Surtout, le thème du troc Maroc-Égypte est martelé par les publications coloniales. Le Bulletin du Comité de l'Afrique française s'étonne de l'opposition de Delcassé et vante les avantages d'une « division du travail » entre la France et l'Angleterre à partir de zones d'influence distinctes. Eugène Étienne adresse à Delcassé une revue de la presse anglaise, pour lui démontrer que l'Angleterre n'est pas a priori hostile à une négociation avec la France. Il reprend ses dialogues réguliers avec le ministre au Quai d'Orsay et donne, dans la Dépêche coloniale, une large publicité à l'idée d'un troc Maroc-Égypte – idée reprise, pour le public anglais, dans un article pour la National Review. En juillet 1903, Étienne est invité à Londres pour une série d'entretiens avec le secrétaire au Foreign office, Lansdowne, et le ministre des colonies, Joseph Chamberlain.

Le parti colonial a trouvé un allié en Paul Cambon. De tempérament très indépendant, l'ambassadeur à Londres dit ouvertement à Delcassé, malgré l'amitié qu'il lui porte, son désaccord sur la politique marocaine. Il demande pourquoi devrait-on envisager un troc Maroc-Tripolitaine avec l'Italie, un partage des zones d'influence au Maroc avec l'Espagne, et ne rien entreprendre avec l'Angleterre, l'interlocuteur le plus important ? Mais Delcassé ne veut rien offrir de plus à Londres que la liberté commerciale au Maroc et la neutralité de Tanger.

Paul Cambon pense d’abord à échanger l'acceptation d'un « régime français » au Maroc contre l'abandon des droits de pêche français à Terre-Neuve, vieille pomme de discorde avec le Colonial office. À deux reprises, au début de 1901 puis à l'été de 1902, l'ambassadeur ouvre des discussions avec Lansdowne, mais il le fait de son propre chef et ne parvient pas à obtenir d'instructions de Delcassé. Paul Cambon se plaint de ne pas être soutenu par son ministre. Il fait le voyage de Paris, n'obtient pas d'audience et finit, comme le conte avec humour Christopher Andrew à partir d'un récit de l'ambassadeur anglais Manson, par rencontrer Delcassé pendant un quart d'heure dans une station de métro sur la ligne de Rambouillet !

En réalité, Lansdowne montre aussi peu d'intérêt que Delcassé pour cette idée. À l'été 1902, Cambon élargit donc sa proposition et rejoint le parti colonial dans le projet d'un troc plus général, Maroc-Égypte. Mais Delcassé reste d'autant plus hostile qu'il est persuadé que l'Angleterre intrigue au Maroc. L'influence prise, à la cour du sultan, par le « caïd Maclean », un aventurier anglais, ancien officier subalterne à Gibraltar, devenu instructeur des forces marocaines et conseiller privé du souverain, enflamme les imaginations à Paris. Au début de 1902, la légation de France à Tanger est persuadée que l'Angleterre veut établir un protectorat sur le Maroc.

Ce n’est qu’en février 1903 que la décision de Delcassé est prise : il se rallie à l'idée d'un troc Maroc-Égypte. N'en déplaise au parti colonial et à Paul Cambon, le rythme du ministre était probablement le bon. Il avait bien perçu jusque-là l'hostilité de l'Angleterre, et donc l'inutilité d'une proposition. Mais désormais, le changement à Londres est manifeste, expliqué pour une part par la dégradation de la situation au Maroc. En décembre 1902, la révolte de Bou Hamara, vainqueur des troupes du sultan, fait craindre l'anarchie. Après tout, mieux vaut laisser à la France le soin de contrôler un pays aussi difficile. Le changement était perceptible chez Edouard VII, qui assurait : « Nous devons garder entre nous, France, Espagne, Angleterre, la question du Maroc », tandis que Chamberlain plaçait désormais les destinées du monde dans une « triple Entente France-Russie-Angleterre » et que le secrétaire au Foreign office Lansdowne, pour la première fois, faisait connaître à Cambon son souhait d'un dialogue avec la France sur le Maroc4.

 

De l’Entente cordiale au compromis avec Madrid

 

Le 16 mars 1904, le texte des accords négociés par Lansdowne et Cambon est présenté à Delcassé. Il ne fait objection que sur un article promettant le soutien de la France à la politique égyptienne de l'Angleterre. On décide alors d'insérer un article supplémentaire, assurant la France du soutien de l'Angleterre à sa politique marocaine. Le 8 avril, les accords sont signés. Ils comportent deux déclarations, une convention et cinq articles secrets.

La première déclaration, sur le Maroc et l'Égypte, constitue le cœur de l'arrangement franco-anglais. Tout est dit en quelques phrases : la France n'entravera pas l'action de l'Angleterre « en demandant qu'un terme soit fixé à l'occupation britannique ou de toute autre manière ». Elle reçoit des assurances sur le maintien de sa présence culturelle en Égypte – direction générale des antiquités et écoles françaises. De son côté, l'Angleterre n'entravera pas l'action de la France, qui, en tant que « pays limitrophe du Maroc », se voit reconnaître la mission d'assurer l'ordre et le développement de l'empire chérifien. Elle laissera intacts les droits britanniques au Maroc, dont le droit de cabotage entre les ports marocains. Les deux gouvernements garantissent, au Maroc comme en Égypte, l'égalité économique complète à leurs ressortissants. Les articles secrets annexés à la première déclaration, prévoient l'hypothèse d'un changement de « l'état politique » du Maroc et de l'Égypte. L'établissement de protectorats – « L'introduction de réformes [...] tendant à assimiler la législation à celle des autres pays civilisés » – sera discutée par les deux puissances et mis en oeuvre parallèlement. L'Espagne recevrait, dans ce cas, « une certaine quantité de territoires marocains adjacents à Mellila, Ceuta et autres présides ».

Les intérêts espagnols au Maroc feront l’objet d’un accord négocié par la France avec Madrid et « communiqué à Londres ». La négociation est difficile. Le Maroc reste, depuis l'expulsion des Maures, une sorte de terre promise dans le subconscient collectif espagnol. Les présides, « pierres d'attente de la reconquête », évoquent les droits historiques – le pavillon de Castille flotte depuis trois siècles sur Melilla – et la mission de l'Espagne. Prosper Mérimée, qui séjournait à Madrid lors de la guerre hispano-marocaine (1859-1860), décrivait ainsi l'état d'esprit de la population : « Tous les partis se sont réunis pour la guerre sainte. Femmes, enfants, vieillards, carlistes et libéraux ont le même cri : Al Moro ! On se croirait aux croisades ! ».

Comment mettre fin au rêve marocain de l'Espagne par un accord sur le papier ? À l'extrême fin de la négociation, l'ambassadeur Léon y Castillo se dérobe aux propositions de Delcassé. À Madrid, le conseil des ministres ajourne, le 8 août 1904, toute décision sur le Maroc. Le 3 octobre 1904, 1'accord se fait. La déclaration commune franco-espagnole enregistre l'adhésion du gouvernement espagnol à l'accord franco-anglais du 8 avril : « Il appartient à la France, comme puissance limitrophe du Maroc, de veiller à la tranquillité de ce pays et de lui prêter son assistance pour toutes réformes administratives, économiques, financières et militaires… ». L'Espagne reconnaît la position prééminente de la France, mais cette déclaration a une contre-partie secrète : Delcassé découpe, dans le nord du Maroc, une large zone réservée à l'influence espagnole, de la Moulouya à l'Océan atlantique, au sud de Larache. Il commente : « On me reprochera d'avoir trop sacrifié aux prétentions de l'Espagne […] J'étais résigné à lui sacrifier beaucoup plus : l'essentiel était que l'Espagne ne devienne pas l'instrument de l'Allemagne au Maroc ! ». De fait, le ministre à Tanger, Saint-René Tallandier, se dit troublé: « Tôt ou tard, le sultan connaîtra cette contre-partie secrète. Il croira certainement que nous nous préparons au partage du Maroc. Il va s'en affoler... »

 

Guillaume II à Tanger

 

En janvier 1905, Saint-René Taillandier part pour Fès afin d'inviter le sultan « à rétablir l'ordre dans son Empire, avec l'aide de la France », selon les instructions de Delcassé. La France présente au sultan un vaste programme de réformes : réorganisation de l'armée et des douanes, création d'une banque d'État et développement des travaux publics sous contrôle français. Le protectorat se profile. Le sultan Abd el Aziz résiste et prend contact avec des agents allemands. Contrairement au discours officiel, l'Allemagne est « intéressée » : sa présence commerciale au Maroc est moins négligeable qu'on ne le croit à Paris. Les négociants de Hambourg et de Brême craignent de se voir fermer le marché marocain. La ligue pangermaniste revendique pour l'Allemagne la côte atlantique, de Rabat à Agadir. Mais le gouvernement de Berlin ne s'est pas réellement engagé. Les banquiers allemands, qui investissent dans la réalisation du chemin de fer de Bagdad, hésitent à prêter leurs services au sultan. Reste que l'intervention est tentante. Elle mettrait à l'épreuve l'Entente cordiale : l'Angleterre peut décevoir la France en ne la soutenant que faiblement et la France décourager l'Angleterre si elle s'incline devant un ultimatum allemand.

À Berlin, on était à la recherche d'une riposte modérée. Le chargé d'affaires à Tanger, Kühlmann, propose alors que Guillaume II, en partance pour une croisière en Méditerranée, fasse escale au Maroc. Plus tard, Guillaume II reprochera à son chancelier de « l'avoir mis en scène à Tanger contre sa volonté ». Et Bülow reconnaîtra dans ses mémoires avoir fait pression sur le Kaiser : « J'envoyai par lettre à l'empereur le conseil de descendre à Tanger. Je lui recommandai en même temps de ne pas prononcer de discours pompeux, mais de dire, le plus simplement possible, n'avoir eu aucune raison de ne pas rendre visite au sultan du Maroc, souverain indépendant ». En fait, l'escale de Tanger, le 31 mars 1905, nous révèle non pas le Janus allemand triomphant, mais un Guillaume II des plus indécis ! Une traversée houleuse et la crainte d'une action des anarchistes espagnols effacent en lui le projet d'une « entrée historique au Maroc ». Le Kaiser veut renoncer. Kühlmann surgit d’une embarcation, ruisselant d'eau. Guillaume lui crie : « Je ne débarque pas ! ». Un de ses aides de camp fait un débarquement d'essai. Le Kaiser se risque alors, mais une nouvelle épreuve apparaît : l’étalon berbère qui l'attend sur le débarcadère ne semble pas de tout repos. Perdant son assurance, il craint d'être désarçonné devant la foule des badauds  marocains. Devant  l'oncle du  sultan venu l'accueillir, il se borne à quelques phrases convenues sur l'amitié entre l'Allemagne et le Maroc. Cependant, arrivé à la légation impériale, le Kaiser s'est repris et semble même surexcité quand il prononce les phrases décisives rappelant l'indépendance du Maroc, « un pays libre ». Diffusée par la légation, cette allocution de circonstance devant la vingtaine d'Allemands de Tanger prend l'allure d'une déclaration officielle : voilà les « puissances européennes » mises en garde contre toute atteinte à la souveraineté du Maroc. Le sultan propose aussitôt de soumettre le programme français de réformes à une conférence internationale.

La France va-t-elle pouvoir poursuivre sa marche vers l'établissement du protectorat, c'est-à-dire, en fait, sinon en droit, mettre fin à la souveraineté marocaine ? L'Allemagne parviendra-t-elle à interdire sa mainmise sur le Maroc ? Réussira-t-elle à faire de la question marocaine un dossier du « Concert européen », inscrit à l'ordre du jour d'une conférence européenne ?

À Paris, les camps se forment. Delcassé maintient le cap. Il veut imposer son programme de réformes au sultan et estime que l'Allemagne « bluffe », qu'elle n’ira pas plus loin et qu'en cas de danger, l'Angleterre assistera la France. Le soutien armé de l'Angleterre lui apparaît comme une occasion de transformer l'Entente cordiale en une véritable alliance militaire. Et si l’affaire marocaine tournait à la guerre, la victoire de la flotte anglaise lui semble assurée. Face à Delcassé, le président du Conseil Rouvier a une conviction diamétralement opposée. Croyant au sérieux de la menace allemande, il redoute une dérobade de l'Angleterre – dont l'appui militaire serait, de toutes façons, insuffisant. Il entend donc profiter de la crise marocaine pour régler l'ensemble des difficultés franco-allemandes, un peu comme l'affaire de Fachoda a permis d'apurer l'ensemble du contentieux franco-anglais.

L'état-major et le parlement adhèrent plutôt à la « ligne Rouvier » et prêchent la prudence. Peut-être aussi, côté parlementaire, pointe le plaisir – selon le biographe de Guillaume II, Emil Ludwig – « de profiter de ce prétexte pour échapper à l'autocratie de Delcassé ». Comment supporter la présence du même homme au Quai d'Orsay durant sept années, dans cette république de cabinets en rotation semestrielle ? La liaison directe que Rouvier va établir avec Berlin accroît les difficultés de Delcassé. Son sort sera en partie scellé par les pressions du chancelier allemand. Il démissionne.

 

Algésiras : l’irruption des Etats-Unis

 

Pour la première fois de leur histoire, les États-Unis entrent dans le Concert européen. Décidé à faire de son pays un acteur majeur de la scène internationale, le très dynamique Théodore Roosevelt, saisi par une lettre de Guillaume II, intervient dans la querelle franco-allemande. Il engage la France à accepter le principe d'une conférence et l'Allemagne à ne pas abuser de sa première victoire qu’a été la démission de Delcassé.

La France a donc fini par accepter une conférence européenne sur le Maroc. Le 8 juillet 1905, Rouvier et l'ambassadeur Radolin échangent les lettres qui mettent fin à une longue querelle. L'attaché militaire à l'ambassade d'Allemagne, le major von Hugo, télégraphie à « l'éminence grise » Holstein : « Délivrance heureusement effectuée, quoiqu’au forceps, après deux heures de douleurs ». La France s'engage à maintenir l'indépendance du Maroc et la liberté de ses échanges économiques. L'Allemagne reconnaît les « intérêts spéciaux » de la France au Maroc. Paris retire « ses objections contre la conférence et accepte de s'y rendre ». L'Allemagne prouve ainsi que le réseau d'alliances et d'amitiés établi par Delcassé ne suffit pas pour résister à ses exigences.

La conférence européenne sur le Maroc devait se réunir à Tanger, au début de décembre 1905. Mais l’apparition de troubles incitent « les puissances » à demander à l'Espagne de l'organiser. Le ramadan, les fêtes de fin d'année et un mariage à la Cour d'Espagne imposent des reports successifs. Ce n’est que le 16 janvier 1906 que la conférence s'ouvre, à l'hôtel de ville d'Algésiras, sous la présidence du ministre d'État espagnol, le duc d'Almodovar. Treize  États  sont  représentés, à savoir les participants à la conférence de Madrid de 1880, plus la Russie, qui avait adhéré à ses conclusions. La plupart ont délégué leur ambassadeur en Espagne, mais les États-Unis ont désigné Henry White, leur représentant à Rome, tandis que la France a choisi Paul Révoil, en poste à Berne, et l'Italie son ancien ministre des affaires étrangères, Visconti-Venosta. Les porte-parole du Maroc, le ministre des finances El Mokri et l'agent du sultan à Tanger, Mohammed Torrès, ne joueront aucun rôle dans la négociation.

Les discussions vont porter essentiellement sur l'organisation de la police dans les ports atlantiques. La France souhaite obtenir un « mandat » de l'Europe, qu'elle partagerait avec l'Espagne. L'Allemagne préconise la création d'une force de police internationale, avec des officiers belges, suisses ou néerlandais. La proposition de la France est naturellement soutenue par l'Angleterre et la Russie, ainsi que par l'Espagne. L'isolement de l'Allemagne naît du ralliement des États-Unis et de l'Italie à un mandat franco-espagnol. Seule l'Autriche-Hongrie appuie le projet allemand.

Le 7 avril 1906, l'Acte final de la conférence confie à la France et à l'Espagne le maintien de l'ordre dans huit ports marocains. Les officiers et sous-officiers de la police seront français à Rabat, Mazagan, Safi et Mogador, espagnols à Tétouan et Larache, mixtes à Casablanca et à Tanger. Ils auront sous leur ordre deux mille cinq cents Marocains, répartis en unités de cent cinquante à six cents hommes.

L'Allemagne affiche l'amertume du vaincu. Au Reichstag, les sociaux-démocrates, menés par Bebel, critiquent avec vivacité la politique marocaine de leur pays. Bülow reprend le dossier de la conférence à Holstein et profite de la conjoncture pour écarter le ministre des affaires étrangères, celui qui fut le maître clandestin de la Wilhelmstrasse. Mais la gravité de la défaite allemande n'a-t-elle pas été exagérée ? Près d'un siècle plus tard, le bilan est nuancé. Les cadres français et espagnols de la police sont placés sous le contrôle d'un inspecteur général suisse, résidant à Tanger, et leur mandat est limité à cinq ans. Les dossiers économiques excluent toute prépondérance de la France : les procédures d'adjudication des travaux publics seront ouvertes à tous et le capital de la banque d'État réparti entre toutes les puissances signataires. Les engagements d'Algésiras limitent donc strictement l'influence de la France. La question marocaine est internationalisée. Le protectorat français est écarté. Une intervention de l'Allemagne n’est pas exclue dans l'avenir.

 

Agadir : l’ultime crise

 

En 1911, l'affaire rebondit. Depuis la conférence d'Algésiras, le Maroc est agité par une vague de xénophobie, attisée discrètement par le sultan Abd el Aziz et encouragée par l'Allemagne. Dans les villes, les Européens sont molestés. En mars 1907, 1e docteur Mauchamp est assassiné dans le dispensaire qu'il a créé à Marrakech. En juillet, neuf ouvriers européens sont massacrés sur les chantiers du port de Casablanca. Les voyageurs sont détroussés jusqu'aux abords de Tanger par un « roi des montagnes », Raisouli, dont les exploits sont relatés par la presse internationale. La France réagit par l’envoi d’un corps expéditionnaire qui débarque à Casablanca, tandis que des unités d'Algérie franchissent la frontière, occupant Oujda. Mais Paris craint les complications diplomatiques et bride ses troupes, évitant ce qui pourrait ressembler à une occupation définitive. Bientôt l'anarchie se complique d'une guerre civile. Moulay Hafid, frère d'Abd el Aziz, se fait proclamer sultan à Marrakech, en août 1907, avec l'aide des tribus du Sud. Après une année de conflit, il parvient à s’imposer.

La crise dynastique réglée, financiers et industriels français et allemands semblent d’accord pour exploiter ensemble les ressources du pays. En 1909, le groupe allemand Krupp et le français Schneider sont associés dans l’Union des mines marocaines. Mais l'apaisement est de courte durée. Le nouveau sultan, qui a imposé de lourds impôts pour rembourser les dettes d'Abd el Aziz, doit faire face au soulèvement des tribus du nord. Il est assiégé dans Fès et les Européens de la ville sont menacés. Le consul de France, Henri Gaillard, est chargé de convaincre le monarque marocain de faire appel à la France. Il obtient, le 4 mai 1911, la signature d'un texte antidaté. Car le vrai débat a eu lieu le 22 avril, en conseil des ministres. Delcassé, de retour au gouvernement comme ministre de la marine, se porte au premier rang des interventionnistes, demandant une action « prompte et énergique ». Le général Moinier part de Rabat, à la tête de 15 000 hommes, pour dégager le sultan et juguler la rébellion – assez rapidement pour ne pas réveiller les problèmes avec l'Allemagne. L'ordre est rétabli dès le début juillet. Dans le même temps, l'Espagne déploie sans incident ses troupes dans la zone qui lui a été reconnue en 1904.

Le gouvernement français invoque la force majeure et promet d'évacuer Fès dès que l'ordre sera rétabli. Mais il est évident que le « mandat » défini à Algésiras a été dépassé. La presse allemande réagit avec vigueur, évoquant la « tunisification » du Maroc. L'Allemagne est décidée à rouvrir le dossier marocain. Le secrétaire d'État Kiderlen propose au Kaiser de « saisir un gage ». Le gouvernement français s'attend à une réédition du « coup de Tanger ».

 

Un long marchandage

 

Au même moment, un fait divers tragique – que reprendra Jules Romains dans Les Hommes de bonne volonté – frappe le gouvernement français. Le 21 mai 1911, un avion explose sur le terrain d'Issy-les-Moulineaux, au départ du raid aérien Paris-Madrid. Le ministre de la guerre, Berteaux, est tué. Le président du Conseil Monis, handicapé par ses blessures, est bientôt contraint à la démission. Caillaux prend sa succession le 1er juillet 1911. Il maintient Delcassé au ministère de la marine. Or, le même jour, la canonnière « Panther » arrive devant Agadir. L'Allemagne intervient, selon la note remise par son ambassadeur à Paris, pour protéger les ressortissants allemands menacés dans leur vie et leurs biens. Le cabinet français, à peine constitué, semble désarçonné par l'événement. Delcassé conseille la prudence : « Ne fournissons aucun prétexte à l'Allemagne ; attendons qu'elle découvre son jeu ».

Surtout, Delcassé fait adopter le principe de décisions concertées avec Londres et Saint-Pétersbourg. L'Allemagne, qui pensait n'avoir affaire qu'à la France, se heurte aux avertissements du secrétaire au Foreign office, Edward Grey, et du chancelier de l'Échiquier, Lloyd George. L'ambassadeur d'Allemagne indique, le 7 juillet, que son gouvernement n'a aucune prétention sur le Maroc, mais qu'il entend obtenir des avantages appréciables dans le bassin du Congo. Un long et difficile marchandage commence, entrecoupé d'interpellations parlementaires et de campagnes de presse. Caillaux, malgré l'opposition de de Selves, son ministre des affaires étrangères, est décidé à traiter. Côté allemand, le secrétaire d'État Kiderlen, après avoir exigé la totalité du Congo, finit par se contenter d'un « gros morceau » de la colonie française, une bande de territoire en bordure du Cameroun, entre Sangha, Oubangui et Congo.

La transaction prend forme dans l'accord du 4 novembre 1911. En outre, l'Allemagne s'engage à ne pas « entraver » l'action de la France au Maroc. Elle consent par avance à toutes les mesures de réorganisation – le mot « protectorat » est mentionné dans des lettres interprétatives. La convention de Fès du 30 mars 1912 établit au Maroc un régime de protectorat analogue à celui de la Tunisie. L'Espagne se voit confirmer la possession de la zone du Rif, soit 28 000 kilomètres carrés, de l'Atlantique à l'embouchure de la Moulouya.

Ainsi, le dénouement de la crise d'Agadir donne-t-il les mains libres à la France au Maroc pour quatre décennies. À la veille de la première guerre mondiale, le heurt des impérialismes coloniaux semble apaisé. Après 1945, le combat victorieux de Mohammed V pour la restitution de sa pleine souveraineté au Maroc renverra les intrigues du « Concert européen » à son passé obscur et lointain.

http://www.african-geopolitics.org/show.aspx?ArticleId=3366

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