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Histoire du Maroc

Histoire du Maroc
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23 février 2007

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29 janvier 2007

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28 septembre 2006

Salman Al-Farisy (1)

Beaucoup d’hommes ont connu de près le Prophète. Ceux dont Khalid Mohamed Khalid a choisi de traiter dans son ouvrage intitulé «Des hommes autour du Prophète» sont une soixantaine. Aujourd’hui, nous vous livrons ce qu’il a écrit à propos de Salman al-Farisy.

Cette fois, le héros vient de Perse. Plus tard, dans ce pays, l'Islam sera embrassé par de nombreux hommes. Il en fit des croyants à la foi incomparable, au savoir immense tant en religion qu'en les choses de l'ici-bas.
C'est là une des merveilles de l'Islam. Dès qu'il investit un pays, il y déclenche dans un grand mouvement les énergies et la créativité des habitants, si bien qu'apparaissent des philosophes, des médecins, des savants en religion, des astronomes, des inventeurs...
En ces temps-là, ces érudits de savoir surgissaient de partout, de chaque pays, si bien que les premières époques du règne de l'Islam assistaient à une profusion de génies extraordinaires dans tous les domaines. Leurs pays étaient multiples mais leur religion était une. L'Envoyé (ç) avait déjà annoncé cette extension bénie de sa religion. Bien plutôt, il en reçut promesse de véracité de la part de Dieu le Connaissant. Un jour, Dieu lui fit voir l'avenir de l'Islam. L'Envoyé (ç) vit alors de ses yeux l'étendard de l'Islam flotter sur les cités et les palais des monarques de la terre.
Salman al-Farisy était présent. Il avait un lien très certain avec ce qui se passa. Cela eut lieu durant le siège des Coalisés.
En l'an 5 ap. l'Hég., les notables des juifs se dirigèrent vers la Mecque, pour convaincre les associants d'éradiquer cette nouvelle religion.
Leur mission fut un succès, puisqu'ils réussirent à mettre sur pied une coalition impressionnante. Le plan proposé par les juifs fut vite adopté. Les Quraych et les Ghatafan attaqueraient Médine de l'extérieur, tandis que les juifs des Banou Quraydha la prendraient de l'intérieur, par derrière les rangs des musulmans.
Ainsi l'Envoyé (ç) et ses compagnons seraient broyés comme par une meule.
Quand cette armée d'associants se présentera devant Médine, les musulmans seront surpris, malgré les préparatifs faits. Dieu décrit bien la situation d'alors: lors elles surgirent pour vous de dessus et de dessous, et que fléchirent les regards, et que les cours montèrent dans les gorges et que vous conjecturiez force conjectures sur Dieu...
Les troupes ennemies seront composées de 24.000 guerriers, sous le commandement d'Abou Sufyan et Oyayna b. Hiçn. Cette armée ne représentait pas les tribus de Quraych ou Ghatafan mais toutes les tribus associantes et leurs intérêts. Ce sera là la dernière tentative entreprise par tous les ennemis de l'Envoyé (ç).
Quand Médine fut informée des intentions belliqueuses des Coalisés, les musulmans jugèrent la situation très critique. L'Envoyé (ç) réunit ses compagnons pour des consultations. Tous convinrent évidemment, de combattre, de défendre la cité. Mais, comment organiser la défense devant une armée si nombreuse?
Là, s'avança l'homme aux grandes jambes et aux cheveux fournis, l'homme à qui l'Envoyé (ç) portait un grand sentiment de respect. Salman s'avança vers une hauteur, d'où il jeta sur la cité un regard examinateur. Il remarqua qu'elle était, d'un côté, bien protégée par une montagne rocailleuse mais vulnérable par cette grande brèche-là. Une issue bien faite qui n'attendait que les troupes ennemies.
Salman, qui connaissait les tactiques et les ruses de guerre de son pays, suggéra à l'Envoyé (ç) une proposition inconnue jusque-là des Arabes. C'était le creusage d'un fossé le long de la zone découverte.
Dieu seul sait quel serait le sort de l'Islam, si les musulmans n'avaient pas creusé ce fossé.
Quand les associants virent cette grande tranchée, ils en eurent le vertige. Ils restèrent impuissants dans leurs tentes, durant un mois, jusqu'à cette nuit-là où Dieu envoya sur eux une tornade furieuse et mugissante qui les obligea à lever leur camp. Durant le creusement du fossé, Salman tenait sa place avec son équipe, car chaque équipe avait une surface déterminée à creuser.
L'Envoyé (ç) creusait aussi avec son pic. Dans la surface où Salman et ses compagnons travaillaient, un énorme rocher ne voulait pas céder le passage devant les coups répétés de leurs pics. Salman, dont la constitution était solide, ne put pourtant pas avoir raison de ce rocher-là. Lui et ses compagnons aussi ne purent le faire remuer. Ils restèrent impuissants. Alors, Salman s'en alla demander à l'Envoyé (ç) la permission de changer le tracé du fossé, pour éviter le rocher qui leur tenait tête. L'Envoyé (ç) vint examiner l'endroit et le rocher.


• «Des hommes autour du Prophète»
Khalid Mohammad Khalid
Traduction : Abdou Harakat
Ed. Dar Al-Kotob Al-Ilmiyah
Beyrouth, 2001 - 224 pages

28 septembre 2006

Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (3)

Le terme de mondialisation est devenu tellement galvaudé qu’on en circonscrit le sens à la seule sphère économique. Dans son ouvrage : «La mondialisation culturelle», Gerard Leclerc met l’accent sur la dimension culturelle de ce phénomène.

Tous deux cherchent à construire la première histoire véritablement mondiale, la première historiographie universelle: elle doit à la fois relativiser la place de l'Europe (l'envisager comme une civilisation parmi d'autres), et comprendre sa singularité (le fait que c'est sous son égide et par son hégémonie que le monde a été unifié).
Pour cette « nouvelle histoire », l'histoire de l'Europe doit apparaître comme une histoire locale. Toutes les histoires traditionnelles (les histoires classiques de Thucydide, de Salluste, de Joinville, de Guichardin, de Machiavel...) ont été des récits portant sur des histoires particulières, propres à une société donnée, à une époque donnée : récits de guerres, de changements dynastiques, de crises politiques.
Quand elles cherchaient à prendre un recul temporel ou spatial, avec Gibbon, avec Voltaire, avec Ranke, elles étaient encore des récits ethnocentriques, des matériaux pour la construction d'une historiographie européocentrique.
Michelet était profondément gallocentrique, comme Ranke était viscéralement germanocentrique. Désormais l'histoire sera mondiale et mondialiste. Elle intégrera les faits, les événements advenus et archivés dans l'ensemble des grandes civilisations, celles du moins qui ont connu l'écriture bien avant l'arrivée des Européens. Désormais «les champs d'intelligibilité de la recherche historique » seront des «sociétés qui ont une extension bien plus grande, dans le temps et dans l'espace, que les États nationaux ou les Cités-États, ou n'importe quelle autre communauté politique»«Ce sont les sociétés, et non pas les États, qui sont les atomes sociaux qu'étudient les historiens».
Toynbee distingue au cours de l'histoire la succession d'une vingtaine de « sociétés » ou « civilisations », et évalue à 5 le nombre des grandes civilisations existant au Xixé siècle: Occident, Islam, Inde, Chine, Japon. Braudel, quant à lui, distingue 13 grandes civilisations existantes. Parmi les asiatiques il retient le Japon, la Chine, la Corée, l'Indochine, l'Insulinde, l'Inde, l'Islam. Il distingue 4 civilisations européennes : la latine, la grecque, la nordique, la russe. Braudel note la grande stabilité, la grande « fixité du logement» des civilisations et des cultures. L'auteur français oppose en effet les «cultures» aux « civilisations ». Les «civilisations» sont de grosses cultures; elles sont, pourrait-on dire, des «molécules» construites à partir du matériau élémentaires, des «atomes» que sont les «cultures»: «Une culture, c'est une civilisation qui n'a pas encore atteint sa maturité, son optimum, ni assuré sa croissance. En attendant, et l'attente peut durer, les civilisations voisines l'exploitent de mille manières».
Ainsi la civilisation européenne exploita-t-elle les cultures de l'Asie, grâce à ses comptoirs, avant de conquérir ou dominer ses grandes civilisations. Ainsi l'Europe colonisa-t-elle les cultures, les petites sociétés de l'Afrique aux XVIIIe et XIXe. « La règle ordinaire, c'est que les civilisations jouent et gagnent », c'est-à-dire l'emportent sur les cultures.
Mais la victoire des civilisations est fragile et souvent partielle. Le grand problème des conquérants, ce ne sont pas les victoires sur les hommes, mais celles sur l'espace. Il leur faut vaincre les distances, mettre sans arrêt le centre en communication avec ses frontières, lesquelles sont sans cesse menacées par des cultures remuantes, mobiles, instables, que l'on appelle les «Barbares»: des peuples nomades situés à la périphérie des peuples sédentarisés par la civilisation. Ainsi les Germains face à l "Empire romain; ainsi les Arabes, les Turcs, les Mongols, les Mandchous, les Tatars, qui, à différentes époques, menacèrent et quelquefois conquirent les empires pourtant redoutables de Byzance, de la Chine, de l'Inde. Deux grandes dates de l'histoire asiatique sont. nous dit Braudel, la conquête de l'Inde du Nord par Babur (Baiber) en 1526, et la fondation subséquente de l'Empire moghol ; et la prise de Pékin par les Mandchous en 1644, qui eut pour résultat la fondation de la dynastie des Ch'ing, dont le règne dura jusqu'à la Révolution de 1911.
Bien que d'abord historiens, donc concernés au premier chef par le déroulement du temps, Toynhee et Braudel sont également fascinés par l'espace et son rôle historique. Les sociétés, tout en étant des entités indépendantes, sont reliées les unes aux autres, tant dans le temps que dans l'espace.
Les relations qui peuvent exister entre deux sociétés situées à des périodes différentes sont principalement «l'apparentement» et «l'affiliation». L'affiliation, comme son nom l'indique, implique un lien plus fort, une proximité plus grande que l'apparentement : elle signifie une descendance directe, et non pas un simple lien indirect passant par des ancêtres communs.
Toynbee, vers 1930, entreprit la tâche gigantesque d'écrire la première véritable «Histoire universelle », une histoire des « sociétés», et non plus des événements arrivés dans la civilisation occidentale. Il appelle «sociétés» des ensembles culturels relativement vastes et durables, quelquefois pluriethniques et multiséculaires, ceux-là même que Braudel appelle des « civilisations». Ainsi parle-t-il de la « société occidentale», ou encore de la «société hellénique». Toynbee se montre très critique à l'égard des historiens occidentaux qui ont abordé l'étude des sociétés orientales.
Ils ont pratiquement méconnu ou ignoré les grandes civilisations de l'Islam, de l'Égypte ancienne, de Sumer, de Babylone, des Hittites, de la Chine, de l'Inde.
Ils ont concentré leur intérêt principalement sur les deux sources supposées de la civilisation occidentale : la Grèce et la Palestine. Ils se sont abandonnés à trois conceptions erronées et dangereuses : l'ethnocentrisme, la conception de l'Orient immuable (the unchanging East), et une conception unilinéaire du développement historique.
Braudel, économiste autant qu'historien, a voulu de son côté, élaborer une histoire économique du monde, formuler une première histoire des échanges à l'échelle de la terre: il s'intéressait, disait-il en 1979, à l'économie «étendue au monde entier », «mondialisée». Le dernier volume de sa vaste enquête s'intitule Le Temps du monde. C'est en quelque sorte une « étude chronologique » des formes et prépondérances successives de l'économie internationale. «Mondialiser» l'histoire, cela voulait dire pour Braudel intégrer enfin dans le discours historique les civilisations non occidentales: Islam, Amérique précolombienne, Japon, Chine...
La matière de l'histoire telle qu'il l'envisage, ce sont les « civilisations ». Qu'est-ce qu'une civilisation ? «Chaque univers de peuplement dense a élaboré un groupe des réponses élémentaires et a une tendance fâcheuse à s'y maintenir...
Une civilisation... est la mise en place d'une certaine humanité dans un certain espace. C'est une catégorie de l'histoire, un classement nécessaire.
L'humanité ne tend à devenir une... que depuis le XVe finissant. Jusque-là elle a été partagée entre des planètes différentes, chacune d'elles abritant une civilisation, ou une culture particulière, avec ses originalités et ses choix de longue durée. Même proches les unes des autres, les civilisations ne sauraient se confondre». Désor-mais, dit Braudel, il faut « tout situer à l'échelle du monde». Déjà dans son premier grand ouvrage, consacré à la Méditerranée au XVIe siècle.


• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

28 septembre 2006

Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (2)

Le terme de mondialisation est devenu tellement galvaudé qu’on en circonscrit le sens à la seule sphère économique. Dans son ouvrage : «La mondialisation culturelle», Gerard Leclerc met l’accent sur la dimension culturelle de ce phénomène.

L'entrée dans le monde moderne -ou comme on disait alors, dans la civilisation-passe par l'uniformisation culturelle et par l'appropriation de la science et de la technique.
L'évolutionnisme insiste davantage sur l'identité des sociétés ou des mécanismes sociohistoriques (il pense en termes de « stades » universels) que sur les différences entre civilisations. Il postule un déterminisme technologique et économique, et présuppose que l'unification du monde par le marché et la technologie aboutira à une homogénéité culturelle, à la résorption des grandes civilisations sous l'égide des forces universelles.
Le progrès technologique moderne est apparu d'abord en Europe; il s'est diffusé ensuite en Amérique du Nord, et il est en voie de généralisation à l'échelle mondiale. L'ensemble des sociétés est voué à progresser sur le chemin unique de la « Civilisation », dont l'expansion coloniale de l'Europe ne fait qu'accélérer le rythme.
Les théories évolutionnistes se sont élaborées plus à partir de l'observation des cultures primitives sans écriture (caractérisées par la « tradition orale ») que de celle des grandes civilisations orientales, fondées sur de riches et anciennes traditions écrites. Elles ne pouvaient donc prendre en compte la puissante et vaste diversité culturelle, religieuse et mythologique révélée au même moment par la découverte du sanskrit, par celles des langues sémitiques anciennes, par le déchiffrement des hiéroglyphes, par l'approfondissement de la connaissance des traditions culturelles de l'Inde, de la Chine, du Japon.
Elles supposaient une attention aux relations sociales dans les petites cultures closes et situées apparemment hors de l'histoire, plus qu'aux mécanismes symboliques structurant les grandes traditions culturelles écrites.
L'évolutionnisme voyait le moteur de l'innovation et du changement culturels plus dans les forces endogènes, intérieures à chaque société, que dans les contacts interculturels, les forces extérieures venues de l'intrusion plus ou moins lente, plus ou moins brutale, de traits et d'éléments étrangers. C'est précisément sur ces derniers qu'insistera une théorie concurrente, le diffusionnisme. Le problème est en effet de savoir ce qui a été prédominant : des « inventions, endogènes, qui auraient permis à la plupart des sociétés d'avancer sur le chemin du progrès ; ou bien la « diffusion » des principales inventions à l'ensemble de l'humanité à partir de quelques centres innovationnels. Y a-t-il eu un grand nombre de centres d'inventions indépendants, les innovations endogènes jouant le rôle majeur dans le progrès de l'Humanité? Ou bien la plupart des inventions et découvertes (techniques, idées, etc.) sont-elles apparues dans un centre unique, ou dans quelques centres, pour diffuser et se répandre ensuite à l'ensemble du globe?
Le diffusionnisme, en dépit de son discrédit rapide dans le champ de l'ethnologie, semble avoir ouvert la voie aux « philosophies de l'histoire » qui apparurent en Europe au début du XXe siècle avec Spengler, et surtout Toynbee, ou encore aux spéculations historiques de Malraux, de Needham, de Braudel et de quelques autres. Le genre discursif appelé « philosophie de l'histoire» est bien antérieur au diffusionnisme et à l'évolutionnisme. Il est en germe chez Bossuet et chez Voltaire, et prend son essor avec Herder et Hegel. Il se fonde sur un socle conceptuel sensiblement différent de celui de l'ethnologie, qui vit la naissance tant des approches évolutionnistes et diffusionnistes.
La philosophie de l'histoire est une « théorie » du temps historique relativement court celui des deux ou trois derniers millénaires qui ont précédé notre époque. Et elle concentre son intérêt sur quelques grandes civilisations, considérées comme les acteurs principaux du progrès de la Conscience culturelle ou de l'Esprit objectif.
Hegel, comparant vers 1820 les grandes civilisations mondiales, oppose une Europe conquérante et dynamique, figure dernière de l'Esprit, et un Orient (Inde, Chine, Islam) stagnant dans le despotisme et la superstition après avoir représenté la naissance et des étapes révolues du mouvement de l'Esprit, incarné dans l'histoire. Hegel, avec la bonne conscience d'un intellectuel européen qui a vécu l'épopée napoléonienne et qui observe le développement de la Révolution industrielle anglaise, considère d'un oeil froid et blasé la mise en place du pouvoir anglais en Inde et s'identifie tout naturellement à l'Europe.
L'Allemagne, désormais porteuse des Lumières philosophiques, est vouée à penser la modernité, à laquelle il oppose la barbarie asiatique, qui englobe les grandes civilisations de l'Orient. Emboîtant le pas à Hegel (ou à son prédécesseur Herder), les Romantiques allemands (les frères Schelling, Schopenhauer), puis les jeunes hégéliens, avec Marx à leur tête. Nietzsche enfin, apporteront tout au long du XIXè leur contribution à la vision européocentrique de l'Histoire et à l'intégration philosophique de l'ensemble de l'humanité dans la pensée européenne.
Cependant le début du XXe siècle apporte un bémol et des retouches non négligeables à ce triomphalisme intellectuel et à l'impérialisme de la pensée occidentale. La première guerre mondiale, qui est en fait un déchirement intestinal de la civilisation européenne, suivie de la prise de conscience par certains penseurs des réalités du colonialisme, de ses brutalités et de ses faiblesses, amèneront Spengler à prophétiser le « déclin de l'Occident », puis d'autres (Gide, Malraux, Drieu la Rochelle, Thomas Mann, Hermann Hesse, Keyserling, Ernst Jünger, etc.) à envisager avec inquiétude la perspective d'une «crise de l'Europe », où se dessine la possibilité, la probabilité d'une hégémonie américaine. Mais ce pessimisme politique, contemporain de la montée en puissance des régimes fascistes, est doublé par une réflexion plus sereine et plus distanciée d'historiens qui ressentent la nécessité de penser désormais l'histoire européenne à la lumière de l'histoire mondiale en gestation, et d'une vision planétaire de l'homme, où l'Européen, quelle que soit sa grandeur présente ou passée, n'est plus qu'une des figures de l'Homme, où l'Occident n'est plus que l'une des figures possibles de la Modernité. Désormais la civilisation occidentale doit être confrontée aux autres grandes civilisations de l'Histoire ; la civilisation européenne ne saurait plus sans naïveté ou sans arrogance se considérer comme représentant la Civilisation.

Les civilisations et l’Histoire mondiale
Deux auteurs au moins ont pris, dans les années 1930 et 1940, pleinement conscience de la nécessité de penser l'Histoire en termes planétaires, de la décentrer par rapport à l'Europe. Tout d'abord Arnold Toynbee, scrutant le monde depuis le Proche-Orient où il sert le pouvoir britannique, et méditant sur le destin de l'Europe, envisage la succession de grandes civilisations dans le temps, leurs filiations éventuelles, ou au contraire leur coexistence faite d'ignorance ou de conflits. Ensuite Fernand Braudel qui, prisonnier dans un stalag allemand, réfléchit sur la signification de la Méditerranée comme frontière, comme lien ou comme fossé infranchissable, entre les grandes civilisations de l'Antiquité (Rome, hellénisme, Carthage, barbares, Islam) et de l'âge moderne (Républiques italiennes, Espagne, Empire turc). Ces deux auteurs se montrent sensibles au rôle des distances dans la diffusion des mentalités, et tentent de comprendre à la fois les continuités dans le temps et les discontinuités dans l'espace.


• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

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28 septembre 2006

Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (1)

Le terme de mondialisation est devenu tellement galvaudé qu’on en circonscrit le sens à la seule sphère économique. Dans son ouvrage : «La mondialisation culturelle», Gerard Leclerc met l’accent sur la dimension culturelle de ce phénomène.

Depuis la fin du XVIIIème siècle, l’Europe a été confrontée à la démultiplication des mondes historiques et culturels, à travers la découverte des cultures sauvages d’Amérique et d’Océanie (ethnologie) et des civilisations lointaines d’Asie (orientalisme). Au cours du XIXème, la planète Terre connaît, dans le cadre des nouvelles sciences de l’homme, un phénomène quelque peu contradictoire, celui d’une expansion/contraction. Dans la dimension de l’espace, cette époque voit la conquête militaire et/ou scientifique des derniers territoires inconnus par l’homme européen, et la première cartographie complète de l’espace terrestre. La Renaissance avait été marquée par une dilatation de l’espace humain, avec les Grandes Découvertes. Le XIXème, quant à lui, se caractérise plutôt par une formidable contraction de l’espace mondial, la naissance du «monde fini », le début de la « mondialisation », à travers le recensement complet et définitif de l’Humanité. Dans le champ du temps, on assiste pareillement à une extension/implosion. Des savants européens découvrent les sources lointaines, sinon les origines, des grandes civilisations existantes : l’Islam, l’Inde, la Chine… D’autres mettent à jour – au sens strict et au sens figuré – les grandes civilisations disparues, qui furent à l’origine de la civilisation européenne (Proche-Orient) et eurasiatique (Egyptiens, Hittites, Sumériens, Indo-Européens, civilisation indienne de Mohenjo-Daro..). Le savoir historique découvre une profondeur temporelle (les millénaires, bientôt les centaines de milliers d'années) à laquelle ne pouvaient penser les auteurs du XVIIe siècle européen qui, à la manière de Bossuet, attribuaient à l'humanité quatre ou cinq millénaires, en se fondant sur les données tirées (le la Genèse. La tradition judéo-chrétienne, fondée sur les auteurs grecs (Hérodote, Platon, Aristote) et sur la Bible, faisait remonter l'origine de l'humanité au Proche-Orient ancien (le Jardin d'Éden, situé quelque part en Mésopotamie), et à la descendance de celui que nous appelons Adam. Avec la formation des sciences historiques et humaines modernes (archéologie, linguistique, préhistoire, ethnologie, orientalismes), l'Europe savante participe à une formidable dilatation du temps, qui devient comme «infini».
A vrai dire, l'histoire - le récit et le savoir historiques-change brusquement de nature, en changeant de dimension. Elle devient le savoir global de l'ensemble des cultures et des macro-cultures appelées « civilisations », et fournit ainsi le matériau à partir duquel le XIX siècle pourra construire le concept de « Civilisation» au sens historique. Si nous nous plaçons du point de vue universel et mondial qui est désormais celui de l'Histoire, on peut dire que l'histoire - le récit historique - a été d'abord, et pendant longtemps (en fait jusqu'au XXe siècle) le discours qu'une société, une culture, une civilisation tient sur elle-même et sur son passé. L'Histoire est indissociable de la Tradition mythique et religieuse. Ainsi fut-elle dans la culture grecque le récit homérique des guerriers achéens contre les troyens, ou le récit hérodotéen des sources égyptiennes de l'hellénisme. Ainsi fut-elle dans le judaïsme ancien le récit du Pentateuque sur les origines et les tribulations du peuple juif entre l'Euphrate et le Nil. A partir du XVIIIe, et surtout du XIXe, elle se veut - et devient dans une certaine mesure - récit continu et global du temps de l'Homme, le discours sur la généalogie de l'ensemble de l'humanité, distribuée, répartie sur l'ensemble du globe, et divisée en groupes plus ou moins avancés sur la route du progrès. Après Bossuet, Voltaire et Hegel, l'Histoire devient le récit unique et unifié des événements advenus et mémorisés par la totalité des grandes civilisations du monde. Mais l'époque de Hegel ignorait presque tout sur les grandes civilisations non européennes, et sur le passé lointain de l'Europe. Ce n'est qu'aujourd'hui, en ce début du IIIe millénaire, que l'on peut tenter, pour la première fois, d'écrire une Histoire universelle qui soit pas empreinte d'ethnocentrisme et d'utopisme.

Evolutionnisme et philosophie de l’Histoire
La culture européenne a utilisé plusieurs stratégies intellectuelles pour penser ce qu'elle croyait être la supériorité de l'Europe, et l'occidentalisation du monde, c'est-à-dire l'hégémonie de l'Europe sur les autres civilisations. Plusieurs façons en somme de rendre compte et de légitimer l'universalité ou l'universalisation des pratiques et des valeurs européennes. L'une des manières dont l'Europe a tenté de comprendre à la fois la diversité culturelle du monde qu'elle rencontrait au cours de l'expansion coloniale et le processus d'unification culturelle qui résultait précisément de cette expansion, a été la construction des théories dites « évolutionnistes ». Dans le cadre d'une telle approche, l'ensemble des groupes humains est rangé le long d'une ligne temporelle qui est aussi une échelle du progrès, et qui voit l'Homme passer lentement de la Sauvagerie à la Barbarie, puis au stade Civilisé. Si toutes sociétés sont vouées à progresser le long de cette ligne, certaines sont plus «avancées» que les autres : certaines mènent la course, d'autres forment un peloton, d'autres enfin traînent à la queue.
L'Europe est située tout naturellement en tête de la Civilisation (elle est la Civilisation par excellence), les autres « civilisations» (Islam, Inde, Chine) étant restées « retardataires », tandis qu'à la traîne, on rencontre les sociétés sauvages ou « primitives », lesquelles n'ont même pas droit au titre de « civilisations », et doivent se contenter du statut de « cultures ». L'évolutionnisme est une théorie du temps culturel très long (il pense en termes de millénaires), prétendant ranger l'ensemble des sociétés humaines - en particulier les petites civilisations isolées, les « cultures » - le long d'une échelle permettant la montée en pente douce vers la perfection sociale et culturelle représentée par la « Civilisation », c'est-à-dire la modernité européenne du XIXe. Les ethnologues et les sociologues du XIXe siècle (Morgan, Tylor, Spencer, etc.) opposèrent tous dans une typologie dualiste les « sociétés primitives » à la « civilisation ». L'évolutionnisme implique que les différences entre cultures (ou entre civilisations) sont dues pour l'essentiel à une situation plus ou moins avancée sur le chemin unique du progrès technologique. Chemin unique et inévitable: d'où le terme d' « unilinéaire » qui est le plus souvent associé à cette approche. L'Europe mène le peloton des civilisations, suivies elles-mêmes par le fourmillement des petites cultures primitives, isolées et archaïques, ayant accumulé les retards techniques et donc culturels. L'avance de l'Europe est considérable, mais provisoire: bientôt toutes les cultures se retrouveront ensemble, semblables et égales, au point d'arrivée de la Civilisation. L'isolement des civilisations les unes par rapport aux autres, qui a été la règle tout au long de l'histoire, se termine avec la formation du marché mondial et l'expansion universelle de la civilisation moderne née en Europe. Les autres grandes civilisations ne diffèrent que sur des points de détail de l'état passé de la civilisation européenne, et vont bientôt s'assimiler les traits majeurs de cette dernière. Elles sont condamnées à périr, au plan de leur spécificité culturelle (en particulier religieuse) et à s'adapter, au plan de la technologie.


• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

28 septembre 2006

Le Maroc de Lyautey à Mohammed V (2)

Spécialiste d’histoire contemporaine, ayant enseigné à la Faculté des lettres de Rabat, Daniel Rivet a consacré plusieurs publications au Maroc dont l’ouvrage intitulé «Le Maroc de Lyautey à Mohammed V».

Car trois idées-force pilotèrent cette expérience transformant le Maroc, plus que toute autre colonie, en laboratoire de pratiques d'urbanisme d'avant-garde. 1- Opérer une séparation tranchante entre la médina et la ville européenne, les dissocier complètement. L'hygiénisme (isoler la médina, réservoir de microbes et de pestilence), l'esthétisme (sauver la médina, sanctuaire d'une beauté orientale, qui est un vestige de l'antiquité), le despotisme (circonscrire la médina, réservoir d'éternels insurgés): tels sont les postulats de ce parti pris. Avec, en plus, chez Lyautey, ébloui par sa découverte de Marrakech la rouge et la dionysiaque se donnant à son conquérant, mais traumatisé par son corps à corps avec Fès la grise et l'islamique se dérobant à l'étranger, l'intuition du h'urm: ménager, avec la ville musulmane, un asile soustrait au chrétien, cet homme en trop au Maroc, et l'aménager comme un reposoir où se retrouver et continuer à être soi-même, bref la conserver comme l'écrin d'une civilisation encore épargnée par le phénomène de la sécularisation. Lyautey, volontiers, eut souscrit à la formule de Louis Massignon, cet orientaliste de génie auquel il aura recours en 1922 pour coordonner l'enquête sur les corporations: "La ville est le lieu où le témoignage se fait architecture"…
De plus, exposé comme il l'était en Algérie à vivre dans les faubourgs ou les interstices de la ville européenne, l'indigène est voué à se déciviliser et à se clochardiser. André Chevrillon, professeur en Sorbonne et grand voyageur comparatiste des sociétés à la manière de Taire, observe avec effarement le mélange des genres à Casablanca: «Dans ces tumultes et cacophonies de la civilisation qui s'installe, que devient le peuple indigène? Il se démoralise, je veux dire qu'il perd ses mœurs et, par suite, se désagrège: ce n'est plus, sous le flot mouvant de la population nouvelle, qu'un déchet fripé qui traîne dans les rues. Portefaix, pisteurs, camelots, décrotteurs, voilà ce qu'on en voit surtout; et la plupart ont déjà pris ces aspects à la fois veules, effrontés et souples que nous connaissons à leurs frères d'Algérie...». Lyautey, qui chaperonne cet académicien au Maroc pour qu'on parle de son Protectorat à Paris, est bien sur la même longueur d'onde. Pour qu'il y ait donc "le moins de mélange possible entre les deux ordres de la ville", plusieurs crans d'arrêt sont posés . Des pressions administratives, à force de réglements municipaux (interdiction des cafés, des établissements industriels, des affiches lumineuses, de la circulation automobile dans le périmètre intra muros), s'exercent sur les Européens déjà insinués en médina et les incitent à rebrousser chemin et à s'installer en ville nouvelle. Pour stopper le délabrement de la médina, Lyautey crée, dès novembre 1912, un service des Beaux-Arts et des Monuments Historiques.
Il le confie non pas à un conservateur, avec ce que ce terme implique de mentalité routinière et sclérosée selon lui, mais à un artiste: Tranchant de Lunel, un peintre, donc un amateur distingué, qui saura s'entourer de jeunes gens amoureux du "vieux Maroc" et artisans talentueux de sa réhabilitation: Jules Borely, Charles de la Nézière, Prosper Ricard, Jean Galotti... qui se conforment au portrait-type exigé par Lyautey: "aussi peu fonctionnaires que possible, artistes, hommes de goût" . Et pour que ce service des Beaux-Arts puisse pratiquer une politique du patrimoine, Lyautey le dote du dahir avant-gardiste du 3 février 1914 portant "sur la conservation des monuments historiques, des inscriptions et des objets d'art et d'antiquité, ainsi que sur la protection des lieux entourant ces monuments et sites naturels".
L'application de cet instrument législatif autorise les conservateurs locaux à intervenir impérativement en cas de vente, destruction ou restauration d'un immeuble classé. Et à sauvegarder cum largo manu, grâce à la procédure autorisant à élaborer des "zones de protection artistique" autour des sites et monuments classés d'intérêt historique. A Rabat, la nécropole merinide du Chellah sera ainsi protégée par une zone de 250 mètres circumphérique.
A Marrakech, la zone de protection ceinturant la mosquée almohade de la Koutoubya atteint 150 mètres. Dans chaque cité, les enceintes, les portes, les mosquées, médersas et zaouïas sont, en bloc, classées monuments historiques. Partout des servitudes de construction et de restauration sont édictées. Par exemple interdit-on aux maisons particulières de dépasser huit mètres à Rabat, neuf à Marrakech. Et Lyautey exerce en personne une dictature esthétique sur la médina, faisant abattre des masures ou gargotes mitant les abords des zones sensibles ou décapiter des immeubles dont le faîte dépasse la hauteur autorisée.

«Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, le double visage du Protectorat»
Daniel Rivet - Editions Porte d’Anfa, Casablanca 2004- 418 pages

28 septembre 2006

Le Maroc de Lyautey à Mohammed V (1)

Spécialiste d’histoire contemporaine, ayant enseigné à la Faculté des lettres de Rabat, Daniel Rivet a consacré plusieurs publications au Maroc dont l’ouvrage intitulé «Le Maroc de Lyautey à Mohammed V».

Les métamorphoses de la ville marocaine
Il n'est pas d'autre terrain que la ville au Maroc où le décalage soit aussi saisissant entre le projet initial et le résultat atteint à la fin de l'épisode colonial. Les initiateurs du premier Protectorat voulaient, sous l'impulsion d'un meneur de jeu féru d'urbanisme antique et d'avant-garde, faire du neuf et de l'exemplaire. Jusqu'au seuil des années 1930, le Maroc est vanté comme un banc d'essai incomparable pour des expériences qui se targuent d'opérer la synthèse des contraires: la sauvegarde des médina dans leur écrin originel et l'introduction de tracés urbains et de matériaux de construction encore expérimentaux ailleurs. Mais cette réussite incontestable - de l'urbanisme lyautéen ne résiste ni à la rupture d'équilibre, qui affecte la société rurale et jette un million d'hommes - en une génération - dans les villes de la côte Atlantique, ni à la pression de la spéculation, qui finit par avoir raison des urbanistes les plus novateurs et talentueux: Prost dans les années 1920 et, plus encore, Ecochard au seuil des années 1950. L'histoire de la ville marocaine, dès lors, confine au drame de civilisation parce que la ville au Maroc - dissociée et livrée à l'anomie - devient une cité à la dérive et le lieu de l'affrontement privilégié entre Européens et Marocains.

Le style du protecteur
S'il est un domaine où Lyautey continue à baigner dans une sorte d'aura, c'est bien celui de l'urbanisme. Ses fidèles aimaient à rapporter qu'au cours de sa dernière réception, à la veille de son départ définitif pour la France, il sortit seulement de son mutisme pour déclarer : «Ce qui m'embête, voyez-vous, c'est que je ne bâtirai plus de villes...». Les souvenirs des anciens de la "zaouïa" étaient criblés d'anecdotes sur l'inaugurateur de chantiers qui aimait que ça barde, que ça crépite autour de lui, que ça pète le feu, et qui harcelait ses collaborateurs de directives "nettes, irradiantes d'intelligence", au dire d'Albert Laprade. Le territoire de la ville, ce fut son domaine réservé, où son despotisme éclairé de prince du XVIII° se déployait sans retenue. Qu'on en juge par ces instructions relatives à la ville de Rabat, qu'il choisit pour capitale administrative malgré Paris hésitant entre Fès et Casablanca : «La ville arabe, le quartier juif, je n'y touche pas, je nettoie, embellis, fournis de l'eau, l'électricité et j'évacue les eaux usées. c'est tout... Mais en face dans le bled, je bâtis une autre ville...».
De fait, Lyautey eut la chance d'être porté par son époque, de disposer d'une pléiade de jeunes et remarquables architectes-urbanistes et d'être averti par la déplorable expérience algérienne.
Le premier Protectorat en matière urbanistique déborde le proconsulat lyautéen et s'attarde jusqu'au seuil des années 1930. Il coïncide avec la genèse de l'urbanisme, ce mot neuf, qui surgit en 1913 sous la plume de l'architecte Donat Alfred Agache et désigne à la fois une fonction d'expertise (un savoir sur la ville) et une méthode d'intervention pratique pour soigner la "ville malade" et la rendre habitable pour tous (un faire sur la ville). "C'est une science d'application un moyen d'intervenir sur le social... Elle intègre les connaissances des techniciens, du sociologue, de l'ingénieur et de l'hygiéniste...".
Lyautey sut attirer au Maroc de jeunes architectes disponibles pour faire du neuf: tous férus d'urbanisme et marqués par l'empreinte du Musée social, un cercle de réflexion très élitiste et une école pratique pour repenser, à la lumière de l'expérience de grands bourgeois réformateurs et de sociologues non durkheimiens, l'action sociale et l'actualiser en fonction des données du siècle nouveau. Henri Prost est le chef de file de cette équipe. où se distinguent également Jules Marrast, Adrien Lafforgues et Albert Laprade. Cette cellule d'urbanisme résidentiel va capter heureusement le "style du protecteur", qui achève d'évincer le "style du vainqueur" (François Béguin). Celui-ci avait consisté à transporter en Algérie l'appareil monumental de la ville française, sans le transposer et l'adapter à la ville mauresque : bref à plaquer Marseille ou Toulon sur Alger, Oran, Bone et Constantine. Le "style du protecteur", au contraire, c'est la démarche architecturale par laquelle le colonisateur renonce à afficher sa différence, pour marquer sa supériorité, et reconnaît le dispositif urbain et le bâti indigène, pour composer avec et l'intégrer. C'est le style "néomauresque" en Algérie au début du siècle, en attendant le style "hispanomauresque" dans le Maroc lyautéen.
Mais, pour comprendre l'expérimentation de la ville au temps fondateur du Protectorat, intervient le type-idéal de civilisation urbaine dont rêvait son initiateur. Deux hommes s'affrontent en Lyautey jusqu'à opérer la synthèse des contraires qu'il prédilectionnait.
Il y a le promeneur baudelairien transportant de ville en ville son personnage de dandy blessé par ce désenchantement du monde que capte et interprète Max Weber à l'époque. Des villes italiennes du temps de Laurent de Médicis, son modèle avoué, aux villes musulmanes profanées par l'invasion du "chancre européen", il fait jouer une sensibilité d'artiste sachant croquer une perspective et dessiner une façade, nostalgique de l'époque où l'homme complet était à la fois homme de savoir humaniste (qu'il sait transposer en version musulmane) et du faire marchand (dont il perçoit bien la variante orientale). Epris de social depuis sa jeunesse, il ne veut pas, pour autant, sacrifier la beauté du lieu au despotisme de l'urbanisme d'avant-garde à la façon de Tony Gamier. Il tient à ce que ne soient jamais dissociés le plaisir et l'usage. Il ne suffit pas de loger, fut-ce dans des cités-jardin à la Ebenezer Howard, autre référence fondatrice de son équipe. Il faut que le droit au logement ne soit pas un substitut à la jouissance esthétique de la ville.
Puis il y a le stratège voulant montrer au peuple protégé la puissance qui s'installe et la pérennité de son établissement: faire grand, s'étaler dans l'espace, marquer son siècle de sa griffe de proconsul. Impressionner le peuple conquis, le subjuguer. Présence de Rome subreptice chez ce prince se voulant de la Renaissance et affichant dans ses Lettres de jeunesse sa préférence pour la cité grecque contre l'empire latin. C'est pourquoi la ville-idéale de Lyautey sera à la fois délicieusement anachronique et furieusement moderne.
Marquée au sceau d'un prince éclairé, mais antidémocrate, la ville du Protectorat sera comme une version exagérée de la ville coloniale: nullement conçue en soi pour débattre, échanger, décider avec d'autres hommes libres. Excepté une maison du Colon à Casablanca, faite pour optimiser l'accès des "pionniers du bled" à l'équipement administratif du Protectorat, bref rendre l'administration souriante à l'Européen, pas un édifice n'est forgé pour l'apprentissage d'une citoyenneté démocratique. Le projet lyautéen de la ville est ambivalent fondamentalement. Faire qu'il y ait de l'urbanité, c'est-à-dire cultiver l'appétence du vivre-ensemble. Mais ne rien faire pour qu'il y ait de la citadinité, c'est-à-dire le goût du débat et l'éveil au politique. Si bien que le Protectorat fabriquera des villes neuves superbes, mais distillant l'ennui de vivre car dépourvues de ce désordre créateur des villes où jaillit le plaisir qu'il y a de l'autre.

«Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, le double visage du Protectorat»
Daniel Rivet - Editions Porte d’Anfa, Casablanca 2004- 418 pages

13 juin 2006

LA BATAILLE D'ISLY ET LA CONVENTION DE LALLA-MARNIA

Si la campagne de Kabylie s'était terminée brusquement, c'est que de graves événements se produisaient à l'Ouest du côté du Maroc. Abd-el-Kader cherchait à entraîner le sultan Moulay-Abd-er-Rahman dans sa lutte contre les chrétiens; celui-ci le ravitaillait et le soutenait, tout en se méfiant de son ambition. La politique d'Abd-el-Kader consistait à attirer les Français sur le territoire marocain, dont les frontières étaient absolument vagues et indéterminées, pour forcer la main au sultan.

Lorsque nous créâmes un poste à Lalla-Marnia, les Marocains prétendirent que ce poste se trouvait chez eux et le sultan, sous la pression de l'opinion publique, envoya une mehalla camper près d'Oudjda sous le commandement du caïd El-Guenaoui. Une première agression se produisit le 30 mai 1844 au marabout de Sidi-Aziz, au Nord-Ouest de Marnia. Comme Bugeaud avait reçu de Paris l'ordre de tout tenter pour maintenir la paix, une entrevue fut décidée entre Bedeau et le Guenaoui ; elle eut lieu le 15 juin sur les bords de la Mouïlah ; la conférence fut interrompue par des coups de feu ; Bugeaud accourut au bruit de la fusillade, recueillit l'escorte de Bedeau et prit l'offensive; quatre jours après, il entrait à Oudjda sans coup férir et y attendait le résultat des négociations engagées à Tanger par le consul de France, M. de Nyon, qu'appuyait une escadre commandée par le prince de Joinville.

D'après les instructions de Guizot, M. de Nyon devait exiger du sultan le désaveu de l'agression contre nos troupes, la dislocation de la mehalla et l'expulsion d'Abd-el-Kader.

En même temps, le comte de Sainte-Aulaire, ambassadeur à Londres, était chargé de rassurer les ministres anglais sur les conséquences du conflit, en spécifiant que nous voulions éviter seulement que le Maroc ne constituât pour Abd­el-Kader un asile inviolable où il reprendrait des forces pour recommencer sans cesse la guerre contre nous.

L'émotion était assez vive en Angleterre; on craignait que nous ne fussions entraînés au Maroc comme nous l'avions été en Algérie. Guizot promit formellement de ne rien occuper au Maroc : « Autant nous étions décidés, dit-il, à ne pas souffrir que le Maroc troublât indéfiniment l'Algérie, autant nous étions éloignés d'avoir sur le Maroc aucune vue de conquête. Rien n'eût été plus contraire au bon sens et à l'intérêt français ; la possession et l'exploitation de l'Algérie étaient déjà pour la France un assez lourd fardeau et une assez vaste perspective. »

Mais les négociations échouèrent et le sultan refusa de prendre les engagements qu'on lui demandait. Un ultimatum adressé par Bugeaud au caïd d'Oudjda, qui comportait le maintien de l'ancienne frontière entre les Turcs et le Maroc et l'internement d'Abd-el-Kader dans l'Ouest du Maroc, n'eut pas plus de succès et il fallut se résoudre à la lutte. Bugeaud avait en face de lui, non plus seulement le Guenaoui, mais le fils du sultan, Sidi-Mohammed, avec une armée qu'on disait innombrable. Les forces marocaines comprenaient 6 000 cavaliers réguliers, 1 200 fantassins et environ 60 000 cavaliers des tribus; les Abid-Bokhari, la garde noire créée par Moulay-Ismaïl, constituaient les meilleurs éléments. Abd-el-Kader essaya de donner à Sidi-Mohammed quelques conseils et de lui expliquer la manière de combattre les Français, mais il ne fut pas écouté. Bugeaud avait 18 bataillons d'infanterie, 19 escadrons de cavalerie, en tout 11 000 hommes et 16 bouches à feu. C'était assez pour combattre et pour vaincre. Selon son habitude, il expliqua son plan aux officiers avant la bataille : « Je vais, dit-il, attaquer l'armée du prince marocain, qui, d'après mes renseignements, s'élève à 60 000 cavaliers; je voudrais que ce nombre fût double, fût triple, car plus il y en aura, plus leur désordre et leur désastre seront grands. Moi, j'ai une armée : lui n'a qu'une cohue. Je vais vous prédire ce qui se passera. Et d'abord, je veux vous expliquer mon ordre d'attaque. Je donne à ma petite armée la forme d'une hure de sanglier. Entendez-vous bien! La défense de droite, c'est La Moricière ; la défense de gauche, c'est Bedeau; le museau, c'est Pélissier, et moi je suis entre les deux oreilles. Qui pourra arrêter notre force de pénétration? Ah! mes amis, nous entrerons dans l'armée marocaine comme un couteau dans le beurre! »

L'armée française commença son mouvement dans l'après-midi du 13 août, le suspendit à la tombée de la nuit et se remit en marche à deux heures du matin.  Elle était disposée en un grand losange avançant par un de ses angles; les 18 bataillons d'infanterie formaient autant de petits carrés, avec une compagnie sur chaque face et une compagnie de soutien au milieu. La Moricière commandait en second ; les colonels Cavaignac, Pélissier, Gachet commandaient l'infanterie, les colonels Tartan, Morris, Yusuf la cavalerie. La rencontre eut lieu le 14 août 1844 sur les bords de l'Oued-Isly, à trois kilomètres au Nord-Ouest d'Oudjda. L'immense cavalerie marocaine, s'ébranlant au galop, essaya de déborder l'armée française en assaillant les flancs et la queue de la colonne, mais l'infanterie reçut la charge avec une solidité inébranlable et répondit par des feux de salve. L'ennemi s'arrêta et tourbillonna. Le grand losange toujours fermé reprit sa marche et s'ouvrit pour laisser passer la cavalerie. Yusuf à gauche avec les spahis balaya tout ce qui se trouvait devant lui et s'élança sur le camp marocain; 5 escadrons de chasseurs vinrent le soutenir. Sur la droite, le colonel Morris se trouvait engagé avec 550 chasseurs au milieu de 6 000 cavaliers; il ne recula pas, lança ses escadrons l'un après l'autre et soutenu par 3 bataillons, eut finalement l'avantage. A midi, la bataille était gagnée; elle avait été peu meurtrière même pour l'ennemi, qui laissa 800 morts. Les Français avaient 28 tués et 100 blessés, mais l'armée marocaine avait perdu la tente et le parasol de Sidi-Mohammed,18 drapeaux, 11 pièces de canon; elle avait surtout perdu sa jactance.

Pendant que le maréchal Bugeaud remportait cette brillante victoire, le prince de Joinville opérait contre les villes de la côte marocaine. Avec une escadre de 12 vaisseaux, il avait bombardé Tanger le 6 août, puis s'était porté sur Mogador, où il rencontra une résistance plus vive; mais des compagnies de débarquement s'emparèrent de l'île qui couvre le port et la ville elle-même fut occupée.

Bugeaud songeait à marcher sur Fès : " On peut y aller, écrivait-il au prince de Joinville, avec 20 000 hommes d'infanterie, 3 régiments de cavalerie d'Afrique, une vingtaine de bouches à feu bien approvisionnées et des moyens suffisants pour transporter des vivres pour un mois. " Mais les considérations de politique générale et les engagements pris vis-à-vis de l'Angleterre ne permettaient pas de donner suite à ce projet. A ce moment, la célèbre affaire Pritchard et les incidents de Tahiti mettaient en danger l'entente cordiale, à laquelle Guizot était très attaché. Lord Aberdeen déclara que l'occupation d'un point quelconque du territoire marocain deviendrait nécessairement un casus belli. Il fut convenu que nous ne demanderions ni indemnités, ni cessions territoriales.

Le Maroc ayant sollicité la paix, les négociations furent rapidement menées. Le traité de Tanger (10 septembre 1844) fut une simple reproduction de l'ultimatum ; le sultan s'engageait à interner Abd-el-Kader dans une ville du littoral occidental de son empire au cas où il tomberait entre ses mains.

La délimitation de la frontière devait faire l'objet d'une convention spéciale, qui fut signée à Lalla-Marnia le 18 mars 1845. Il était entendu que nous réclamerions seulement la frontière de l'ancienne Régence, mais il était impossible de déterminer cette frontière, qui variait suivant les hasards de la fortune et des combats. L'idée même de frontière est parfaitement étrangère aux musulmans; comme le remarque M. Jules Cambon, c'est dans le Coran, qui ne parle pas de patrie, qu'est pour eux renfermée toute la loi. On ne traça de limite qu'entre la mer et le Teniet-es-Sassi, sur une distance de 150 kilomètres. Au delà de ce point, la convention indiquait les tribus et ksours appartenant soit à la France, soit au Maroc; on laissa au Maroc l'oasis de Figuig, qui commande la route du Touat. Au Sud de l'Atlas Saharien, on déclara toute délimitation superflue, le pays étant inhabitable : " Le Sahara n'est à personne, " dit le texte. Nous fûmes trompés sur beaucoup de points; toutes les questions litigieuses furent réglées à notre désavantage et la rédaction même de la convention témoignait d'une ignorance absolue des hommes et des choses. Nous tenions avant tout à obtenir la reconnaissance de notre souveraineté sur les musulmans algériens et le désaveu d'Abd-el-Kader par le Maroc; il n'était pas facile d'obtenir du sultan-chérif cette reconnaissance et ce désaveu. Les défectuosités du tracé de la frontière, qui coupait en deux les tribus et n'opposait aucun obstacle aux incursions des maraudeurs, entraînèrent par la suite d'incessantes difficultés avec l'empire chérifien; mais, à vrai dire, ces difficultés, inhérentes au voisinage d'un pays barbare, habité par des nomades pillards, ne pouvaient manquer de se produire; elles n'ont pas encore pris fin aujourd'hui et ne cesseront que le jour où la France aura achevé la pacification du Maroc.

LA DERNIÈRE PHASE DE LA LUTTE

Après la bataille d'Isly, qui est l'épisode le plus populaire et le plus brillant de la conquête de l'Algérie, la lutte entre Bugeaud et Abd-el-Kader change de caractère. " Les résultats généraux, disait Bugeaud à la tribune de la Chambre le 24 janvier 1845, vous les connaissez. Vous savez qu'Abd-el-Kader a été successivement chassé de l'édifice de granit qu'il avait créé; cet édifice, nous l'avons démoli pierre à pierre. Nous avons soumis les tribus une à une. Nous avons rejeté Abd-el-Kader dans l'intérieur du Maroc, ce qui ne veut pas dire qu'il ne reviendra pas. Je crois même pouvoir vous prévenir qu'il reviendra. Il ne reviendra pas dangereux, mais tracassier, et voilà pourquoi il faut que nous restions forts et vigilants. "

Abd-el-Kader en effet n'est plus qu'un chef de partisans, qui agit par coups de main. Cependant les difficultés restent grandes. Aux yeux des musulmans zélés, l'émir n'a rien perdu de son prestige; grandi par ses malheurs et sa constance, il est une prédication vivante de la guerre sainte. " Que veux-tu donc faire de nous? lui disent les indigènes; la poudre a dévoré nos braves; nos femmes, nos enfants, nos vieillards, tu les sèmes dans le désert. Regarde derrière toi; la traînée des cadavres t'indiquera le chemin que tu as parcouru. - De quoi vous plaignez-vous? répond Abd-el-Kader, tous ces êtres que vous aimez ne sont-ils pas en paradis?" Avec une personnalité aussi forte et un tel caractère, un adversaire ne cesse jamais d'être à craindre, même quand la fortune l'abandonne.

http://aj.garcia.free.fr/site_hist_colo/livre2/L2p233.htm

BOU-MAZA. L'INSURRECTION DU DAHRA

De part et d'autre, les hostilités, dans cette dernière phase de la lutte, prennent une âpreté, une férocité même qu'elles n'avaient pas eues jusqu'alors. L'agitation qui avait secoué l'Algérie tout entière était d'ailleurs loin d'être calmée. De toutes parts des mouvements maraboutiques se produisent indépendamment les uns et les autres. A Bel-Abbès, des Derkaoua essaient de surprendre le poste. A Tlemcen, un chérif prétend s'emparer de la ville avec une bande de fanatiques; d'après les promesses de leur chef, ils n'ont même pas besoin d'armes : la terre doit engloutir les Français à leur approche. Le plus important de ces mouvements maraboutiques fut celui qui eut pour chef Mohammed-ben-Abdallah, surnommé Bou-Maza, l'homme à la chèvre; il fut le premier de ces chérifs qui ont surgi périodiquement dans tous les coins de l'Algérie, fanatiques furibonds ou imposteurs grossiers, dont la foule crédule acclame les divagations et les jongleries.

Bou-Maza était chérif idrissite ; il avait vingt cinq ans. " Ce n'est pas un homme ordinaire, dit Saint-Arnaud; il y a en lui beaucoup d'intelligence, dans un cadre d'exaltation et de fanatisme". On vit bientôt en lui le vengeur messianique, le " maître de l'heure " qui devait balayer l'infidèle et faire triompher l'islam; le sultan du Maroc correspondait avec lui et de tous côtés on lui envoyait des offrandes et des soldats; il parcourait les tribus, promettant aux combattants tantôt l'invulnérabilité, tantôt les joies du paradis. L'insurrection s'étendit bientôt à toute la région montagneuse du Dahra ; quoique battus par Saint-Arnaud à Aïn-Meran, les révoltés attaquèrent nos postes, soulevèrent l'Ouarsenis ; Bugeaud vint lui-même faire campagne et de nombreuses colonnes parcoururent les régions où l'agitation s'était propagée.

Le gouverneur laissa au colonel Pélissier le soin de désarmer les populations qui avaient pris part à la révolte. Pélissier ne trouva de résistance que chez les Ouled-Riah, qui s'étaient réfugiés dans les grottes de Nekmaria ; après les avoir vainement sommés de se rendre, il fit allumer de grands feux à l'entrée des cavernes ; 500 personnes, hommes, femmes et enfants, périrent asphyxiées : " Terrible mais indispensable résolution ! écrivait Saint-Arnaud. Pélissier a employé tous les moyens, tous les raisonnements, toutes les sommations. Il a dû agir avec vigueur. J'aurais été à sa place, j'aurais fait de même, mais j'aime mieux que ce lot lui soit tombé qu'à moi. " Ce triste incident, grossi par des polémiques passionnées, fit grand bruit en France. Bugeaud couvrit son subordonné, qui n'avait fait qu'exécuter ses ordres. Soult eut une attitude assez embarrassée; on lui rappela qu'à la bataille d'Austerlitz, il avait fait briser par le canon la glace des étangs sur lesquels fuyaient 12 000 hommes. Les cruautés des insurgés envers nos prisonniers et nos blessés, les atroces mutilations qu'ils faisaient subir à nos morts ne disposaient pas nos soldats à l'indulgence.

13 juin 2006

QUAND LES EUROPÉENS SE DISPUTAIENT LE MAROC

Lors de son apparition en France, dans les années 1890, le parti colonial ou « coloniste » est moins une organisation structurée qu’un conglomérat de groupes et d'associations, comme le Comité de l'Afrique française, fondé en 1890 par d'Arenberg, directeur du Journal des Débats, suivi de comités parallèles pour l'Asie et l'Océanie françaises, pour le Maroc et Madagascar. Les buts affichés sont les mêmes : recueillir les fonds nécessaires aux missions d'exploration, encourager les études et recherches et, surtout, développer l'information et la propagande. Parmi les administrateurs de ces groupements, on trouve les représentants des grands intérêts liés à l'outre-mer, comme le Canal de Suez, les chambres de commerce de Lyon et de Marseille, les banques, mais aussi des officiers, des marins, des universitaires ou des écrivains « coloniaux ». À côté de ces « comités » émerge, en 1893, le puissant syndicat des « maisons françaises ayant des intérêts aux colonies », à savoir l'Union coloniale française, gérée par Charles Roux, administrateur de la Banque de France et du Canal de Suez, président de la Compagnie transatlantique, et par l’administrateur de la Banque Perrier, Mercet. Un an plus tôt, en 1892, était créée la branche parlementaire du mouvement « coloniste », le Groupe colonial de la Chambre, auquel est associé le nom d'Eugène Étienne. Député d'Oran et membre de l'entourage immédiat de Gambetta, il est sous-secrétaire aux colonies de 1889 à 1892. Théophile Delcassé, député de l'Ariège, apparaîtra rapidement comme son « leader en second ». Les deux hommes partagent la même fidélité envers Gambetta. Ce dernier ne fut-il pas le vrai fondateur du parti colonial ? Dès son discours d'Angers, le 7 avril 1872, il s'était prononcé pour l'expansion outre-mer, « pour le rayonnement dans la vie du dehors », car, « si cette vie s'arrêtait, ç'en serait fait de la France ». Et c'est lors de la constitution de son gouvernement, en novembre 1881, que fut créé un sous-secrétariat aux colonies, aux lieu et place d'une simple direction du ministère de la marine ou du commerce.

Dans son essai sur les Mythes et réalités de l'impérialisme colonial français, Henri Brunschwig montra comment le groupe colonial, fort de 91 membres à sa création, regroupait toutes les tendances politiques : deux tiers d'hommes du centre, les « républicains ministériels » – qu’ils soient « de gauche », « progressistes » ou républicains tout court – mais aussi, à l'extrême gauche, une dizaine de radicaux et, à droite, des partisans de Boulanger, des conservateurs classiques ou encore des monarchistes, opposants de l'intérieur mais heureux de s'associer à l'expansion de la nation. La doctrine de l'impérialisme colonial n'est le monopole d'aucune famille politique : c'est là une constante de la Troisième République. Raoul Girardet a noté qu'en 1874, c'est un député d'extrême gauche qui demande à la Chambre de rendre hommage à la mémoire de Francis Garnier, lequel appartenait à une famille de stricte obédience monarchiste

 

Le « parti colonial »

 

Le « parti colonial » – terme utilisé pour la première fois le 6 juin 1894, lors du banquet de l'Union coloniale, en présence de Delcassé devenu entre temps ministre des colonies – est à l'image de la composition socioprofessionnelle de la Chambre. À une différence près : autour des  milieux  dirigeants, des  fondateurs  de  la République, héritiers de Gambetta et de Jules Ferry, se trouvent en grand nombre des négociants, industriels, armateurs représentant les grands intérêts coloniaux, diplomates, journalistes, habitués des cercles parisiens qui représentent une France tournée vers l'extérieur, sans beaucoup d’élus de la France profonde et provinciale. Médecins, vétérinaires, notaires, propriétaires terriens sont peu nombreux. Les notables des petites villes et des bourgs sont indifférents, voire méfiants. Delcassé, fils d'un huissier de Pamiers, fait figure d’exception – qui s’explique par son passage à la chronique diplomatique de la République française et dans « l'écurie Gambetta ».

L'École coloniale fut créée dès 1889. Elle est installée, en  1896, avenue  de  l'Observatoire : des générations d'administrateurs et de magistrats de la France d'outre-mer seront formés dans ce décor d'inspiration mauresque, mêlé de nostalgies asiatiques. Mais elle ne trouve pas grâce aux yeux de tous. Des pamphlétaires dénoncèrent la « pétaudière coloniale », « l'assiette au beurre coloniale », la nomination de « coiffeurs » ou de « terrassiers », dotés de relations utiles, comme commis des affaires indigènes, tandis qu’Émile Boutmy, fondateur de l'École libre des sciences politiques, critiquait la tradition « centraliste » et « bureaucratique » de l'enseignement français – il est vrai que l'École libre était dotée de sa propre « section coloniale ».

Le credo de l’expansion outre-mer reste celui de Jules Ferry, fondé sur une triple argumentation : économique – la recherche de débouchés –,  humanitaire – l'apport de la civilisation occidentale –, et politique – l'impératif de la grandeur et de la puissance de la France. Mais, au sein même du parti colonial, les milieux d'affaires mettront l'accent sur l'argument économique, alors qu'administrateurs, officiers et doctrinaires de l'expansion coloniale assigneront une finalité politique et humanitaire à leur entreprise – une divergence que Delcassé tentera de transcender, en mariant prestige et intérêt. Mais le débat fondamental oppose les tenants du « parti colonial » aux pionniers de l'anticolonialisme – tel Clemenceau, qui lançait à Jules Ferry, après le revers de Langson : « Nous ne voulons plus discuter avec vous les grands intérêts de la patrie. Ce ne sont plus des ministres que j'ai devant moi, ce sont des accusés de haute trahison ». À droite, Maurice Barrés disait sa conviction que « Gambetta avait fait […] de la colonie pour détourner l'élite de notre armée du Rhin ». Dans son esprit, le nationalisme d'expansion coloniale va à l’encontre des intérêts de la nation, car il conduit à négliger l'adversaire principal, l'Allemagne. Il faudra attendre quinze ans de plus, et l’apparition de la question marocaine, pour que le nationalisme d'expansion coloniale rejoigne le nationalisme continental en s’affrontant au même adversaire, l’Allemagne. « C'est contre l'Allemagne, et non plus, comme dans les années 1880, avec son appui, presque sous son patronage, que doivent maintenant triompher les ambitions françaises », remarque Raoul Girardet. À l'approche de la guerre mondiale, la possession d'un vaste empire colonial n'apparaîtra plus comme un « facteur d'affaiblissement », mais comme un « élément supplémentaire de puissance ».

 

Après Fachoda : l’enjeu marocain

 

Au lendemain de la crise de Fachoda (1898) – le fameux face à face franco-anglais dans le Haut-Nil, qui se termina par l'humiliation de la France –, le « parti colonial » procède, derrière Eugène Étienne, à une révision déchirante de ses objectifs. Il décide d'abandonner la vaine confrontation avec l'Angleterre sur l'Égypte, et cherche à acquérir une « compensation », dans la logique du Concert européen et de la diplomatie de l'équilibre. Elle va porter sur le Maroc, dont l’entrée dans le domaine colonial français devient la nouvelle priorité. Paradoxalement, alors que le « lobby » tunisien rassemblait les représentants des grands intérêts financiers liés au développement de la « Régence », le « Comité du Maroc » ne regroupe, outre Étienne, que des journalistes et des universitaires. Le Maroc devient un élément décisif de la « plus grande France » à construire autour de la Méditerranée, mais les intérêts avancés sont stratégiques et moraux – même si le potentiel en matières premières et la qualité de débouché pour les industries françaises ne sont pas à négliger. Est-ce par prudence politique, après les polémiques soulevées par le précédent tunisien à l'époque de Jules Ferry ? Toujours est-il que les représentants des grands intérêts sont éconduits. Le consul de France à Fès remarquera, étonné, que le Comité du Maroc ne contient pas l'habituelle « bande de requins », à la recherche des « dépouilles » de la colonisation…

Au côté d'Eugène Étienne, Paul Bourde est l'âme du Comité. Journaliste au Temps, il fit une rapide carrière outre-mer, comme directeur de l'agriculture en Tunisie, puis comme secrétaire général de Madagascar, avant de retrouver la rubrique coloniale du Temps. Célibataire d'une grande austérité, il consacra sa vie monacale à la cause coloniale – il mourra dans une pauvreté totale, au milieu d'une bibliothèque de 12 000 volumes. Dès le 27 octobre 1898, au plus fort de la crise de Fachoda, il tente de convaincre Delcassé : « La question d'Égypte ne reviendra jamais à son état originaire ; au mieux, nous obtiendrons des Anglais des concessions mineures, alors que nous avons une occasion historique d'acquérir le Maroc ».

Malgré la forte amitié qui unit les deux leaders du parti colonial, Eugène Étienne ne parvient pas à convaincre Delcassé, devenu ministre des affaires étrangères, de l'intérêt de « troquer » l’Égypte contre le Maroc. Delcassé partage l'ambition du parti colonial sur le Maroc, mais il reste obstinément arc-bouté sur le mot d'ordre traditionnel : l'Angleterre doit lâcher prise en Égypte.

Delcassé n'en renforce pas moins la présence française au Maroc, en étroite liaison avec Étienne et Paul Bourde. La légation de France à Tanger devient une place forte du parti colonial. Martinière, secrétaire général du Comité de l'Afrique française, est nommé premier secrétaire de la légation en 1899. Saint-Aulaire lui succédera trois ans plus tard, sur la recommandation de Paul Bourde, et Paul Révoil, ancien gouverneur général de l'Algérie et alter ego d'Étienne, sera nommé ministre à Tanger. De même, c'est à partir de l'enjeu marocain que Delcassé concevra sa politique méditerranéenne envers l'Italie (avec le « troc » Maroc-Tripolitaine), puis l'Espagne.

 

Un pays isolé

 

L'apparition du Maroc comme enjeu central dans les préoccupations françaises était très récente. Ce pays s'était isolé à peu près totalement du monde extérieur – presque à l'égal du Japon avant l'entrée des bateaux noirs du commodore Perry dans la baie d'Edo. À la fin du XVIIIe siècle, la fondation de Mogador permit un premier développement des relations commerciales avec l'Europe. Mais, dès le début du XIXe siècle, le sultan Moulay Sliman voyait dans le commerce avec l'étranger un appauvrissement du pays et dans les contacts avec les infidèles un risque de corruption. La plupart des ports furent interdits aux étrangers. Un droit de 50 % fut imposé sur les importations, tandis que l'exportation des produits habituels – grains, huile, laine – était prohibée. La colonie européenne se réduisait à une centaine de personnes à Tanger, où les consuls vivaient relégués, sans contact avec les réalités du pays[3].

L'irruption de la France en Algérie et l'effondrement de la « Régence » d'Alger allaient briser cet isolement. Le « makhzen », gouvernement du sultan, avait conservé sa sérénité face à la chute d'Alger, mais il intervint, presque par automatisme, dans les affaires d'Algérie. Par solidarité religieuse et politique, le Maroc devint la base arrière de l'insurrection d'Abd el Kader, tandis que se dessinaient des perspectives de redistribution territoriale – Moulay Abderrahman reçut l'allégeance des habitants de Tiemcen et fut près d'établir son pouvoir sur le « beyiik » d'Oran.

Bientôt, l'Europe imposa sa loi : l’« empire chérifien » fut battu par la France (1844), puis par l'Espagne (1860), et contraint de céder aux exigences commerciales de l'Angleterre (1856). Toutefois, le « jeu des puissances » préservait l'indépendance du pays. L'Europe installait ses fonctionnaires, prenait en main les services douaniers, mais Londres fit savoir, avec netteté, qu'elle ne tolérerait aucune annexion. Empiétements sur la souveraineté marocaine et neutralisation réciproque des « puissances » aboutirent, le 19 mai 1880, à une conférence internationale à Madrid, sur l'initiative de Salisbury et avec l'accord du sultan, afin de régler le problème des « protégés » de l'étranger. De plus en plus de sujets marocains cherchaient à échapper à l'autorité despotique des pachas et à leur fiscalité en se plaçant sous la « protection » de tel ou tel État européen (ou des États-Unis). La Russie s'étant récusée, douze nations furent représentées. Un projet de réforme du statut de protégé, soutenu par l'Angleterre et l'Espagne, fut tenu en échec. Le droit de protection fut reconnu officiellement et codifié dans une convention de 18 articles. Il sera invoqué par l'Allemagne lors de la première crise marocaine.

Depuis les années 1880, la « question marocaine » semblait oubliée. Dès 1884, la France avait choisi le statu quo. Jules Ferry mit fin à la mission du très actif ministre de France à Tanger, Ladislas Ortega, ami personnel de Gambetta et d'Eugène Étienne : « Le gouvernement de la République ne veut pas d'affaire au Maroc ».

Quinze ans plus tard, la « question » réapparaissait. Comme en Tunisie, la décomposition politique de l’« empire chérifien » – aggravée par la fragilité d'Abd el Aziz, le jeune monarque, pris d'un engouement puéril pour les « nouveautés » d'Europe selon la formule de Jean Ganiage – menaçait la sécurité des frontières de l'Algérie française. Surtout, le partage de l'Afrique s'achevait et de nouvelles ambitions se faisaient jour au sein du parti colonial. Le Comité de l'Afrique française assurait : « L'état actuel du Maroc n'est qu'un provisoire à allonger aussi longtemps que nous ne serons pas prêts à profiter de sa désagrégation ; mais il faut nous y préparer dès maintenant ». À la fin de 1899, la Société de géographie d'Alger demandait l'établissement immédiat d'un protectorat français sur le Maroc. Plus prudent, Eugène Étienne préconisait une « pénétration pacifique » et progressive de la France, afin de désarmer la méfiance des « puissances ». Delcassé soutenait la vision d'Étienne et déclarait, en juillet 1901, qu'une ingérence étrangère dans « un pays limitrophe de l'Algérie française » serait considérée comme un acte inamical.

Restaient les « intérêts des puissances ». L'Espagne possédait les « présides » de Ceuta et Mellila, grossis des acquisitions de la guerre hispano-marocaine. L'Angleterre, à partir de Gibraltar, assurait 40 % du commerce marocain et contrôlait le détroit. L'Allemagne exprimait ses prétentions par des plans de partage donnant à l'Angleterre Tanger et la côte méditerranéenne, à l'Allemagne Rabat, Casablanca et Mogador, à la France, les confins algéro-marocains jusqu'à la Moulouya. On a pu résumer la situation en disant qu’à l'Angleterre allait le Maroc stratégique, à l'Allemagne le Maroc économique et à la France le Maroc pittoresque…

Eugène Étienne et le parti colonial ne relâchaient pas leur pression sur Delcassé, d'autant plus que le premier, président de l’intergroupe colonial, l’est aussi d’un groupe parlementaire de centre-gauche dont l'appoint est nécessaire à la survie du gouvernement Combes, de juin 1902 à janvier 1905. En octobre 1902, un différend surgit entre les deux hommes au sujet du traité franco-siamois. Pour la première fois, la démission de Delcassé est envisagée, mais le ministre des affaires étrangères finit par céder et promet à Étienne une renégociation du traité.

 

Evolution britannique

 

Sur le Maroc, le parti colonial exige une manifestation claire des intentions britanniques. Il suggère à Delcassé d'affirmer que la France préservera l'intégrité du Maroc mais qu'elle attend en retour des « puissances » européennes la reconnaissance de sa position prééminente. Surtout, le thème du troc Maroc-Égypte est martelé par les publications coloniales. Le Bulletin du Comité de l'Afrique française s'étonne de l'opposition de Delcassé et vante les avantages d'une « division du travail » entre la France et l'Angleterre à partir de zones d'influence distinctes. Eugène Étienne adresse à Delcassé une revue de la presse anglaise, pour lui démontrer que l'Angleterre n'est pas a priori hostile à une négociation avec la France. Il reprend ses dialogues réguliers avec le ministre au Quai d'Orsay et donne, dans la Dépêche coloniale, une large publicité à l'idée d'un troc Maroc-Égypte – idée reprise, pour le public anglais, dans un article pour la National Review. En juillet 1903, Étienne est invité à Londres pour une série d'entretiens avec le secrétaire au Foreign office, Lansdowne, et le ministre des colonies, Joseph Chamberlain.

Le parti colonial a trouvé un allié en Paul Cambon. De tempérament très indépendant, l'ambassadeur à Londres dit ouvertement à Delcassé, malgré l'amitié qu'il lui porte, son désaccord sur la politique marocaine. Il demande pourquoi devrait-on envisager un troc Maroc-Tripolitaine avec l'Italie, un partage des zones d'influence au Maroc avec l'Espagne, et ne rien entreprendre avec l'Angleterre, l'interlocuteur le plus important ? Mais Delcassé ne veut rien offrir de plus à Londres que la liberté commerciale au Maroc et la neutralité de Tanger.

Paul Cambon pense d’abord à échanger l'acceptation d'un « régime français » au Maroc contre l'abandon des droits de pêche français à Terre-Neuve, vieille pomme de discorde avec le Colonial office. À deux reprises, au début de 1901 puis à l'été de 1902, l'ambassadeur ouvre des discussions avec Lansdowne, mais il le fait de son propre chef et ne parvient pas à obtenir d'instructions de Delcassé. Paul Cambon se plaint de ne pas être soutenu par son ministre. Il fait le voyage de Paris, n'obtient pas d'audience et finit, comme le conte avec humour Christopher Andrew à partir d'un récit de l'ambassadeur anglais Manson, par rencontrer Delcassé pendant un quart d'heure dans une station de métro sur la ligne de Rambouillet !

En réalité, Lansdowne montre aussi peu d'intérêt que Delcassé pour cette idée. À l'été 1902, Cambon élargit donc sa proposition et rejoint le parti colonial dans le projet d'un troc plus général, Maroc-Égypte. Mais Delcassé reste d'autant plus hostile qu'il est persuadé que l'Angleterre intrigue au Maroc. L'influence prise, à la cour du sultan, par le « caïd Maclean », un aventurier anglais, ancien officier subalterne à Gibraltar, devenu instructeur des forces marocaines et conseiller privé du souverain, enflamme les imaginations à Paris. Au début de 1902, la légation de France à Tanger est persuadée que l'Angleterre veut établir un protectorat sur le Maroc.

Ce n’est qu’en février 1903 que la décision de Delcassé est prise : il se rallie à l'idée d'un troc Maroc-Égypte. N'en déplaise au parti colonial et à Paul Cambon, le rythme du ministre était probablement le bon. Il avait bien perçu jusque-là l'hostilité de l'Angleterre, et donc l'inutilité d'une proposition. Mais désormais, le changement à Londres est manifeste, expliqué pour une part par la dégradation de la situation au Maroc. En décembre 1902, la révolte de Bou Hamara, vainqueur des troupes du sultan, fait craindre l'anarchie. Après tout, mieux vaut laisser à la France le soin de contrôler un pays aussi difficile. Le changement était perceptible chez Edouard VII, qui assurait : « Nous devons garder entre nous, France, Espagne, Angleterre, la question du Maroc », tandis que Chamberlain plaçait désormais les destinées du monde dans une « triple Entente France-Russie-Angleterre » et que le secrétaire au Foreign office Lansdowne, pour la première fois, faisait connaître à Cambon son souhait d'un dialogue avec la France sur le Maroc4.

 

De l’Entente cordiale au compromis avec Madrid

 

Le 16 mars 1904, le texte des accords négociés par Lansdowne et Cambon est présenté à Delcassé. Il ne fait objection que sur un article promettant le soutien de la France à la politique égyptienne de l'Angleterre. On décide alors d'insérer un article supplémentaire, assurant la France du soutien de l'Angleterre à sa politique marocaine. Le 8 avril, les accords sont signés. Ils comportent deux déclarations, une convention et cinq articles secrets.

La première déclaration, sur le Maroc et l'Égypte, constitue le cœur de l'arrangement franco-anglais. Tout est dit en quelques phrases : la France n'entravera pas l'action de l'Angleterre « en demandant qu'un terme soit fixé à l'occupation britannique ou de toute autre manière ». Elle reçoit des assurances sur le maintien de sa présence culturelle en Égypte – direction générale des antiquités et écoles françaises. De son côté, l'Angleterre n'entravera pas l'action de la France, qui, en tant que « pays limitrophe du Maroc », se voit reconnaître la mission d'assurer l'ordre et le développement de l'empire chérifien. Elle laissera intacts les droits britanniques au Maroc, dont le droit de cabotage entre les ports marocains. Les deux gouvernements garantissent, au Maroc comme en Égypte, l'égalité économique complète à leurs ressortissants. Les articles secrets annexés à la première déclaration, prévoient l'hypothèse d'un changement de « l'état politique » du Maroc et de l'Égypte. L'établissement de protectorats – « L'introduction de réformes [...] tendant à assimiler la législation à celle des autres pays civilisés » – sera discutée par les deux puissances et mis en oeuvre parallèlement. L'Espagne recevrait, dans ce cas, « une certaine quantité de territoires marocains adjacents à Mellila, Ceuta et autres présides ».

Les intérêts espagnols au Maroc feront l’objet d’un accord négocié par la France avec Madrid et « communiqué à Londres ». La négociation est difficile. Le Maroc reste, depuis l'expulsion des Maures, une sorte de terre promise dans le subconscient collectif espagnol. Les présides, « pierres d'attente de la reconquête », évoquent les droits historiques – le pavillon de Castille flotte depuis trois siècles sur Melilla – et la mission de l'Espagne. Prosper Mérimée, qui séjournait à Madrid lors de la guerre hispano-marocaine (1859-1860), décrivait ainsi l'état d'esprit de la population : « Tous les partis se sont réunis pour la guerre sainte. Femmes, enfants, vieillards, carlistes et libéraux ont le même cri : Al Moro ! On se croirait aux croisades ! ».

Comment mettre fin au rêve marocain de l'Espagne par un accord sur le papier ? À l'extrême fin de la négociation, l'ambassadeur Léon y Castillo se dérobe aux propositions de Delcassé. À Madrid, le conseil des ministres ajourne, le 8 août 1904, toute décision sur le Maroc. Le 3 octobre 1904, 1'accord se fait. La déclaration commune franco-espagnole enregistre l'adhésion du gouvernement espagnol à l'accord franco-anglais du 8 avril : « Il appartient à la France, comme puissance limitrophe du Maroc, de veiller à la tranquillité de ce pays et de lui prêter son assistance pour toutes réformes administratives, économiques, financières et militaires… ». L'Espagne reconnaît la position prééminente de la France, mais cette déclaration a une contre-partie secrète : Delcassé découpe, dans le nord du Maroc, une large zone réservée à l'influence espagnole, de la Moulouya à l'Océan atlantique, au sud de Larache. Il commente : « On me reprochera d'avoir trop sacrifié aux prétentions de l'Espagne […] J'étais résigné à lui sacrifier beaucoup plus : l'essentiel était que l'Espagne ne devienne pas l'instrument de l'Allemagne au Maroc ! ». De fait, le ministre à Tanger, Saint-René Tallandier, se dit troublé: « Tôt ou tard, le sultan connaîtra cette contre-partie secrète. Il croira certainement que nous nous préparons au partage du Maroc. Il va s'en affoler... »

 

Guillaume II à Tanger

 

En janvier 1905, Saint-René Taillandier part pour Fès afin d'inviter le sultan « à rétablir l'ordre dans son Empire, avec l'aide de la France », selon les instructions de Delcassé. La France présente au sultan un vaste programme de réformes : réorganisation de l'armée et des douanes, création d'une banque d'État et développement des travaux publics sous contrôle français. Le protectorat se profile. Le sultan Abd el Aziz résiste et prend contact avec des agents allemands. Contrairement au discours officiel, l'Allemagne est « intéressée » : sa présence commerciale au Maroc est moins négligeable qu'on ne le croit à Paris. Les négociants de Hambourg et de Brême craignent de se voir fermer le marché marocain. La ligue pangermaniste revendique pour l'Allemagne la côte atlantique, de Rabat à Agadir. Mais le gouvernement de Berlin ne s'est pas réellement engagé. Les banquiers allemands, qui investissent dans la réalisation du chemin de fer de Bagdad, hésitent à prêter leurs services au sultan. Reste que l'intervention est tentante. Elle mettrait à l'épreuve l'Entente cordiale : l'Angleterre peut décevoir la France en ne la soutenant que faiblement et la France décourager l'Angleterre si elle s'incline devant un ultimatum allemand.

À Berlin, on était à la recherche d'une riposte modérée. Le chargé d'affaires à Tanger, Kühlmann, propose alors que Guillaume II, en partance pour une croisière en Méditerranée, fasse escale au Maroc. Plus tard, Guillaume II reprochera à son chancelier de « l'avoir mis en scène à Tanger contre sa volonté ». Et Bülow reconnaîtra dans ses mémoires avoir fait pression sur le Kaiser : « J'envoyai par lettre à l'empereur le conseil de descendre à Tanger. Je lui recommandai en même temps de ne pas prononcer de discours pompeux, mais de dire, le plus simplement possible, n'avoir eu aucune raison de ne pas rendre visite au sultan du Maroc, souverain indépendant ». En fait, l'escale de Tanger, le 31 mars 1905, nous révèle non pas le Janus allemand triomphant, mais un Guillaume II des plus indécis ! Une traversée houleuse et la crainte d'une action des anarchistes espagnols effacent en lui le projet d'une « entrée historique au Maroc ». Le Kaiser veut renoncer. Kühlmann surgit d’une embarcation, ruisselant d'eau. Guillaume lui crie : « Je ne débarque pas ! ». Un de ses aides de camp fait un débarquement d'essai. Le Kaiser se risque alors, mais une nouvelle épreuve apparaît : l’étalon berbère qui l'attend sur le débarcadère ne semble pas de tout repos. Perdant son assurance, il craint d'être désarçonné devant la foule des badauds  marocains. Devant  l'oncle du  sultan venu l'accueillir, il se borne à quelques phrases convenues sur l'amitié entre l'Allemagne et le Maroc. Cependant, arrivé à la légation impériale, le Kaiser s'est repris et semble même surexcité quand il prononce les phrases décisives rappelant l'indépendance du Maroc, « un pays libre ». Diffusée par la légation, cette allocution de circonstance devant la vingtaine d'Allemands de Tanger prend l'allure d'une déclaration officielle : voilà les « puissances européennes » mises en garde contre toute atteinte à la souveraineté du Maroc. Le sultan propose aussitôt de soumettre le programme français de réformes à une conférence internationale.

La France va-t-elle pouvoir poursuivre sa marche vers l'établissement du protectorat, c'est-à-dire, en fait, sinon en droit, mettre fin à la souveraineté marocaine ? L'Allemagne parviendra-t-elle à interdire sa mainmise sur le Maroc ? Réussira-t-elle à faire de la question marocaine un dossier du « Concert européen », inscrit à l'ordre du jour d'une conférence européenne ?

À Paris, les camps se forment. Delcassé maintient le cap. Il veut imposer son programme de réformes au sultan et estime que l'Allemagne « bluffe », qu'elle n’ira pas plus loin et qu'en cas de danger, l'Angleterre assistera la France. Le soutien armé de l'Angleterre lui apparaît comme une occasion de transformer l'Entente cordiale en une véritable alliance militaire. Et si l’affaire marocaine tournait à la guerre, la victoire de la flotte anglaise lui semble assurée. Face à Delcassé, le président du Conseil Rouvier a une conviction diamétralement opposée. Croyant au sérieux de la menace allemande, il redoute une dérobade de l'Angleterre – dont l'appui militaire serait, de toutes façons, insuffisant. Il entend donc profiter de la crise marocaine pour régler l'ensemble des difficultés franco-allemandes, un peu comme l'affaire de Fachoda a permis d'apurer l'ensemble du contentieux franco-anglais.

L'état-major et le parlement adhèrent plutôt à la « ligne Rouvier » et prêchent la prudence. Peut-être aussi, côté parlementaire, pointe le plaisir – selon le biographe de Guillaume II, Emil Ludwig – « de profiter de ce prétexte pour échapper à l'autocratie de Delcassé ». Comment supporter la présence du même homme au Quai d'Orsay durant sept années, dans cette république de cabinets en rotation semestrielle ? La liaison directe que Rouvier va établir avec Berlin accroît les difficultés de Delcassé. Son sort sera en partie scellé par les pressions du chancelier allemand. Il démissionne.

 

Algésiras : l’irruption des Etats-Unis

 

Pour la première fois de leur histoire, les États-Unis entrent dans le Concert européen. Décidé à faire de son pays un acteur majeur de la scène internationale, le très dynamique Théodore Roosevelt, saisi par une lettre de Guillaume II, intervient dans la querelle franco-allemande. Il engage la France à accepter le principe d'une conférence et l'Allemagne à ne pas abuser de sa première victoire qu’a été la démission de Delcassé.

La France a donc fini par accepter une conférence européenne sur le Maroc. Le 8 juillet 1905, Rouvier et l'ambassadeur Radolin échangent les lettres qui mettent fin à une longue querelle. L'attaché militaire à l'ambassade d'Allemagne, le major von Hugo, télégraphie à « l'éminence grise » Holstein : « Délivrance heureusement effectuée, quoiqu’au forceps, après deux heures de douleurs ». La France s'engage à maintenir l'indépendance du Maroc et la liberté de ses échanges économiques. L'Allemagne reconnaît les « intérêts spéciaux » de la France au Maroc. Paris retire « ses objections contre la conférence et accepte de s'y rendre ». L'Allemagne prouve ainsi que le réseau d'alliances et d'amitiés établi par Delcassé ne suffit pas pour résister à ses exigences.

La conférence européenne sur le Maroc devait se réunir à Tanger, au début de décembre 1905. Mais l’apparition de troubles incitent « les puissances » à demander à l'Espagne de l'organiser. Le ramadan, les fêtes de fin d'année et un mariage à la Cour d'Espagne imposent des reports successifs. Ce n’est que le 16 janvier 1906 que la conférence s'ouvre, à l'hôtel de ville d'Algésiras, sous la présidence du ministre d'État espagnol, le duc d'Almodovar. Treize  États  sont  représentés, à savoir les participants à la conférence de Madrid de 1880, plus la Russie, qui avait adhéré à ses conclusions. La plupart ont délégué leur ambassadeur en Espagne, mais les États-Unis ont désigné Henry White, leur représentant à Rome, tandis que la France a choisi Paul Révoil, en poste à Berne, et l'Italie son ancien ministre des affaires étrangères, Visconti-Venosta. Les porte-parole du Maroc, le ministre des finances El Mokri et l'agent du sultan à Tanger, Mohammed Torrès, ne joueront aucun rôle dans la négociation.

Les discussions vont porter essentiellement sur l'organisation de la police dans les ports atlantiques. La France souhaite obtenir un « mandat » de l'Europe, qu'elle partagerait avec l'Espagne. L'Allemagne préconise la création d'une force de police internationale, avec des officiers belges, suisses ou néerlandais. La proposition de la France est naturellement soutenue par l'Angleterre et la Russie, ainsi que par l'Espagne. L'isolement de l'Allemagne naît du ralliement des États-Unis et de l'Italie à un mandat franco-espagnol. Seule l'Autriche-Hongrie appuie le projet allemand.

Le 7 avril 1906, l'Acte final de la conférence confie à la France et à l'Espagne le maintien de l'ordre dans huit ports marocains. Les officiers et sous-officiers de la police seront français à Rabat, Mazagan, Safi et Mogador, espagnols à Tétouan et Larache, mixtes à Casablanca et à Tanger. Ils auront sous leur ordre deux mille cinq cents Marocains, répartis en unités de cent cinquante à six cents hommes.

L'Allemagne affiche l'amertume du vaincu. Au Reichstag, les sociaux-démocrates, menés par Bebel, critiquent avec vivacité la politique marocaine de leur pays. Bülow reprend le dossier de la conférence à Holstein et profite de la conjoncture pour écarter le ministre des affaires étrangères, celui qui fut le maître clandestin de la Wilhelmstrasse. Mais la gravité de la défaite allemande n'a-t-elle pas été exagérée ? Près d'un siècle plus tard, le bilan est nuancé. Les cadres français et espagnols de la police sont placés sous le contrôle d'un inspecteur général suisse, résidant à Tanger, et leur mandat est limité à cinq ans. Les dossiers économiques excluent toute prépondérance de la France : les procédures d'adjudication des travaux publics seront ouvertes à tous et le capital de la banque d'État réparti entre toutes les puissances signataires. Les engagements d'Algésiras limitent donc strictement l'influence de la France. La question marocaine est internationalisée. Le protectorat français est écarté. Une intervention de l'Allemagne n’est pas exclue dans l'avenir.

 

Agadir : l’ultime crise

 

En 1911, l'affaire rebondit. Depuis la conférence d'Algésiras, le Maroc est agité par une vague de xénophobie, attisée discrètement par le sultan Abd el Aziz et encouragée par l'Allemagne. Dans les villes, les Européens sont molestés. En mars 1907, 1e docteur Mauchamp est assassiné dans le dispensaire qu'il a créé à Marrakech. En juillet, neuf ouvriers européens sont massacrés sur les chantiers du port de Casablanca. Les voyageurs sont détroussés jusqu'aux abords de Tanger par un « roi des montagnes », Raisouli, dont les exploits sont relatés par la presse internationale. La France réagit par l’envoi d’un corps expéditionnaire qui débarque à Casablanca, tandis que des unités d'Algérie franchissent la frontière, occupant Oujda. Mais Paris craint les complications diplomatiques et bride ses troupes, évitant ce qui pourrait ressembler à une occupation définitive. Bientôt l'anarchie se complique d'une guerre civile. Moulay Hafid, frère d'Abd el Aziz, se fait proclamer sultan à Marrakech, en août 1907, avec l'aide des tribus du Sud. Après une année de conflit, il parvient à s’imposer.

La crise dynastique réglée, financiers et industriels français et allemands semblent d’accord pour exploiter ensemble les ressources du pays. En 1909, le groupe allemand Krupp et le français Schneider sont associés dans l’Union des mines marocaines. Mais l'apaisement est de courte durée. Le nouveau sultan, qui a imposé de lourds impôts pour rembourser les dettes d'Abd el Aziz, doit faire face au soulèvement des tribus du nord. Il est assiégé dans Fès et les Européens de la ville sont menacés. Le consul de France, Henri Gaillard, est chargé de convaincre le monarque marocain de faire appel à la France. Il obtient, le 4 mai 1911, la signature d'un texte antidaté. Car le vrai débat a eu lieu le 22 avril, en conseil des ministres. Delcassé, de retour au gouvernement comme ministre de la marine, se porte au premier rang des interventionnistes, demandant une action « prompte et énergique ». Le général Moinier part de Rabat, à la tête de 15 000 hommes, pour dégager le sultan et juguler la rébellion – assez rapidement pour ne pas réveiller les problèmes avec l'Allemagne. L'ordre est rétabli dès le début juillet. Dans le même temps, l'Espagne déploie sans incident ses troupes dans la zone qui lui a été reconnue en 1904.

Le gouvernement français invoque la force majeure et promet d'évacuer Fès dès que l'ordre sera rétabli. Mais il est évident que le « mandat » défini à Algésiras a été dépassé. La presse allemande réagit avec vigueur, évoquant la « tunisification » du Maroc. L'Allemagne est décidée à rouvrir le dossier marocain. Le secrétaire d'État Kiderlen propose au Kaiser de « saisir un gage ». Le gouvernement français s'attend à une réédition du « coup de Tanger ».

 

Un long marchandage

 

Au même moment, un fait divers tragique – que reprendra Jules Romains dans Les Hommes de bonne volonté – frappe le gouvernement français. Le 21 mai 1911, un avion explose sur le terrain d'Issy-les-Moulineaux, au départ du raid aérien Paris-Madrid. Le ministre de la guerre, Berteaux, est tué. Le président du Conseil Monis, handicapé par ses blessures, est bientôt contraint à la démission. Caillaux prend sa succession le 1er juillet 1911. Il maintient Delcassé au ministère de la marine. Or, le même jour, la canonnière « Panther » arrive devant Agadir. L'Allemagne intervient, selon la note remise par son ambassadeur à Paris, pour protéger les ressortissants allemands menacés dans leur vie et leurs biens. Le cabinet français, à peine constitué, semble désarçonné par l'événement. Delcassé conseille la prudence : « Ne fournissons aucun prétexte à l'Allemagne ; attendons qu'elle découvre son jeu ».

Surtout, Delcassé fait adopter le principe de décisions concertées avec Londres et Saint-Pétersbourg. L'Allemagne, qui pensait n'avoir affaire qu'à la France, se heurte aux avertissements du secrétaire au Foreign office, Edward Grey, et du chancelier de l'Échiquier, Lloyd George. L'ambassadeur d'Allemagne indique, le 7 juillet, que son gouvernement n'a aucune prétention sur le Maroc, mais qu'il entend obtenir des avantages appréciables dans le bassin du Congo. Un long et difficile marchandage commence, entrecoupé d'interpellations parlementaires et de campagnes de presse. Caillaux, malgré l'opposition de de Selves, son ministre des affaires étrangères, est décidé à traiter. Côté allemand, le secrétaire d'État Kiderlen, après avoir exigé la totalité du Congo, finit par se contenter d'un « gros morceau » de la colonie française, une bande de territoire en bordure du Cameroun, entre Sangha, Oubangui et Congo.

La transaction prend forme dans l'accord du 4 novembre 1911. En outre, l'Allemagne s'engage à ne pas « entraver » l'action de la France au Maroc. Elle consent par avance à toutes les mesures de réorganisation – le mot « protectorat » est mentionné dans des lettres interprétatives. La convention de Fès du 30 mars 1912 établit au Maroc un régime de protectorat analogue à celui de la Tunisie. L'Espagne se voit confirmer la possession de la zone du Rif, soit 28 000 kilomètres carrés, de l'Atlantique à l'embouchure de la Moulouya.

Ainsi, le dénouement de la crise d'Agadir donne-t-il les mains libres à la France au Maroc pour quatre décennies. À la veille de la première guerre mondiale, le heurt des impérialismes coloniaux semble apaisé. Après 1945, le combat victorieux de Mohammed V pour la restitution de sa pleine souveraineté au Maroc renverra les intrigues du « Concert européen » à son passé obscur et lointain.

http://www.african-geopolitics.org/show.aspx?ArticleId=3366

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